Le tabagisme a longtemps été considéré par les cardiologues davantage comme une cause de cancer que comme l'un des grands facteurs de risque cardio-vasculaire.
Dans une enquête réalisée en 1995, seulement 6 cardiologues sur 10 considéraient le tabac comme une cause majeure d'insuffisance coronaire. Cela s'explique probablement en partie par le fait que le tabagisme reste relativement fréquent chez les cardiologues français. En effet, selon la même source, plus d'un cardiologue sur 4 était fumeur et 14 % d'entre eux étaient fumeurs quotidiens. Comme les recommandations de l'Anaes le soulignaient en 1998, la compétence des praticiens fumeurs pour soigner leurs malades ne peut être mise en doute, mais leur crédit en est sérieusement affecté, face à leurs patients fumeurs. Plus encore que leurs confrères non fumeurs, ils hésitent à s'enquérir des habitudes tabagiques de leurs consultants. Ceux-ci, en retour, leur demandent moins souvent assistance pour sortir de leur dépendance. Les femmes sous pilule, les parents fumeurs ayant des enfants en bas âge souffrent ainsi, parmi maints autres patients dont ces médecins fumeurs ont la charge, d'une perte de chance pour réduire leurs risques personnels ou ceux de leurs proches.
Le tabagisme est incontestablement un fléau, responsable de 60 000 décès par an en France, soit 11,2 % du total des décès. La projection de l'épidémie en cours permet de prévoir 165 000 décès par an en 2025. Le risque d'infarctus du myocarde et de mort subite est multiplié par cinq chez les hommes fumeurs d'âge moyen. De plus, ce facteur de risque est présent chez plus de 80 % des sujets présentant un infarctus avant 45 ans.
Le tabagisme est, par ailleurs, un facteur de risque bien particulier. Les mécanismes physiopathologiques des lésions qu'il induit sont dominés par la thrombose et le vasospasme, éléments déterminants des accidents coronariens aigus. Il est le facteur responsable quasi exclusif des accidents coronariens aigus du sujet jeune. Il intervient de plus sans seuil d'intensité ni de durée de consommation. Son arrêt total constitue une prévention cardio-vasculaire très rapidement efficace.
Lors d'un événement coronarien aigu, comme un infarctus du myocarde, l'arrêt de la consommation de tabac est obtenu très facilement et en général immédiatement. Il est alors imposé par les circonstances et n'implique pas une motivation réelle et durable du patient. La reprise secondaire de la consommation va être entraînée, dans les mois qui suivent, par la dépendance physique ainsi que par les contraintes environnementales, familiales et professionnelles. Une prise en charge spécifique est donc nécessaire.
Les substituts nicotiniques.
En 1980, la troisième version du DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) parlait de dépendance au tabac. La version révisée de ce manuel a abandonné le terme de dépendance au tabac au profit de dépendance à la nicotine. L'expérience clinique a conduit à distinguer deux composantes à cette dépendance, psychologique, ou comportementale, et neuropharmacologique. La dépendance comportementale doit également faire partie du bilan de ces patients. La prise en charge est facilitée par la participation d'une équipe paramédicale éducative. La dépendance neuropharmacologique, ou physique, peut être évaluée par le test de Fagerström.
Les experts préconisent actuellement l'utilisation des substituts nicotiniques chez les patients lorsque cette dépendance physique est ainsi démontrée. Concernant ces substituts, les études expérimentales et cliniques ont confirmé leur efficacité et leur bonne tolérance. Les dernières métaanalyses réalisées portent sur 96 essais thérapeutiques contrôlés et plus de 35 000 fumeurs. Aussi, les mentions légales d'utilisation de ces produits ont récemment évolué en France. Les contre-indications cardio-vasculaires qui y figuraient préalablement ont en effet été supprimées. En l'occurrence, les recommandations les plus récentes de l'Afssaps, publiées en mai 2003, indiquent qu'ils sont « bien tolérés chez les patients coronariens et ne provoquent pas d'aggravation de la maladie coronarienne ou de troubles du rythme », de telle sorte que « les substituts nicotiniques sont recommandés chez les patients coronariens fumeurs ». Leur utilisation devient ainsi plus aisée, les doutes sur d'éventuelles conséquences médico-légales étant levés.
Dans la plupart des études, les substituts nicotiniques permettent de doubler le taux d'abstinence tabagique à 6 mois par rapport au placebo chez les sujets bien accompagnés. Ils ont donc leur place dans l'arsenal thérapeutique de la prévention secondaire de l'insuffisance coronaire, au même titre que les bêtabloquants, l'aspirine, les statines, les inhibiteurs de l'enzyme de conversion et les conseils diététiques.
Les troubles anxieux et dépressifs sont fréquents chez les coronariens fumeurs. Ils sont susceptibles de s'aggraver lors du sevrage tabagique et doivent donc également être recherchés et traités.
D'après un entretien avec le Pr Daniel Thomas, département de cardiologie médicale, institut de cardiologie, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature