U N insoutenable suspense dure depuis jeudi dernier et se prolongera jusqu'à ce matin : les communistes vont-ils voter la loi de modernisation sociale ? Et s'ils ne le font pas, le Premier ministre va-t-il essuyer son premier revers parlementaire ? Les communistes pourront-ils, après avoir voté contre le projet, rester dans la majorité ?
Le projet de loi est victime de la conjoncture politique. Il aurait été voté sans états d'âme par la majorité dite plurielle si, entre-temps, n'avaient été annoncés les plans sociaux de Marks & Spencer et de Danone. Quoi ? Des sociétés qui font des profits et licencient quand même ? Le Parti communiste, qui a essuyé une défaite aux municipales, a exigé - et obtenu - que la procédure de licenciement soit remaniée. Le gouvernement a inscrit, dans un projet de loi infiniment plus vaste où les dispositions concernant le système de santé sont très importantes, une clause prévoyant que toute société prospère et désirant licencier du personnel doit négocier au préalable avec le comité d'entreprise et les syndicats.
Surenchère communiste
Les communistes voulaient plus. En gros, ils réclament l'autorisation administrative de licenciement, qui existait autrefois mais a rendu les entreprises si frileuses qu'elles y réfléchissaient à deux fois avant d'embaucher, tant était vive leur crainte de ne pouvoir renvoyer des salariés en temps de vaches maigres.
Le gouvernement le sait, qui refuse obstinément de porter atteinte à la croissance de l'emploi. Les communistes opposent leur propre conception du marché administré, depuis longtemps jeté dans les oubliettes de l'histoire et qui ne correspond à aucune des règles qui régissent le marché et la concurrence.
Qu'ils croient ou non à leurs solutions, les communistes tentent surtout de résoudre leur problème spécifique. Ils s'efforcent d'exister dans un pays où chaque consultation électorale consacre une nouvelle diminution du nombre de leurs électeurs. Bref, ils jouent leur vie politique et sont donc devenus intraitables. On les comprend, et sûrement, M. Jospin les comprend. Mais il ne peut pas faire courir à la société française un risque économique et social qu'on ne saurait prendre à la légère.
Cependant, si M. Jospin tient bon, il n'est pas exclu que les communistes votent en définitive contre le projet de loi. Et comme une logique doit être poussée à son terme, il n'est pas exclu non plus qu'ils quittent le gouvernement. Dès lors qu'ils passeraient dans l'opposition et compte tenu de la grogne croissante du Mouvement des Citoyens et des Verts, le Premier ministre risque de devoir former un gouvernement de minorité. C'est dire que la crise est sérieuse.
Les responsabilités de Robert Hue
D'ailleurs, elle l'est tellement que Robert Hue aurait beaucoup de mal à saper la majorité de telle manière qu'il ferait venir la droite au pouvoir. Dans ses rapports avec les chevènementistes, les Verts et les communistes, Lionel Jospin a déjà eu l'occasion de faire valoir que, si les alliés du PS ne s'alignaient pas sur les socialistes, ils feraient éclater le gouvernement. Menace qui lui a permis, jusqu'à présent, de faire voter ses réformes. Mais aujourd'hui, il fait face à la profonde déception de Jean-Pierre Chevènement à propos du projet de loi sur la Corse (l'ancien ministre de l'Intérieur a démissionné dès que le projet a été annoncé) et à la panique des communistes. D'une part, M. Chevènement est sérieux, pas du tout caractériel, quand il dénonce les atteintes à l'indivisibilité de la République ; d'autre part, M. Hue, comme Jospin, essaie de sauver sa peau ; enfin les Verts ont avec le Premier ministre un conflit de nature idéologique qui n'est pas moins grave que le différend Jospin-Chevènement.
Un compromis ?
On ne sait pas sur quel compromis la catastrophe sera évitée demain. Car, à onze mois de la présidentielle, un affaiblissement soudain, pour ne pas dire un effondrement, de la majorité de gauche changerait complètement le jeu électoral. Soit parce que la gauche, qui a beaucoup ralenti les réformes, ne serait pas vraiment en mesure de gérer le pays ; soit parce que M. Jospin démissionnerait, laisserait la droite s'emparer du pouvoir et préparerait son élection à la présidence.
Faut-il y croire ? Le scénario le plus sombre est également le plus improbable. Sans doute les composantes de la gauche finiront-elles par se raccommoder. De savants calculs permettront peut-être au projet de loi sur la modernisation sociale de passer à l'Assemblée avec une partie des votes communistes, les autres s'abstenant. Mais il manque à la majorité l'harmonie dont elle a besoin pour affronter l'année prochaine deux scrutins essentiels. Cette harmonie, établie superficiellement au lendemain de la victoire de 1997, a toujours été menacée. Et il reste à savoir si M. Hue est mieux placé au pouvoir ou dans l'opposition pour envoyer ses candidats aux deux élections.
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