NOMMÉE SECRÉTAIRE D'ÉTAT, Condoleeza Rice affirme que, après un mandat où l'Amérique ne pouvait qu'être en guerre, arrive le temps de la diplomatie ; Tony Blair, pourtant échaudé par sa coopération loyale avec M. Bush, affirme que s'ouvre une période de consensus ; notre ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, insiste sur le respect mutuel qui doit accompagner une nouvelle ère de relations atlantiques. Mais Bush, tel le Phénix, se garde bien d'annoncer la couleur : il aurait plutôt tendance à répéter ses convictions : il a prononcé quarante fois le mot liberté pendant le discours qu'il a prononcé après sa prestation de serment.
Si le président réélu avait voulu modifier de fond en comble sa politique extérieure, il aurait commencé par limoger son secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld. Il ne l'a pas fait parce que cela aurait traduit l'admission implicite des grossières erreurs commises par l'administration américaine en Irak.
BUSH N'A PAS « DÉCIDÉ » DE CHANGER, IL EST « OBLIGÉ » DE CHANGER
Une tactique payante.
La forme précède le fond : M. Bush ne reconnaît jamais qu'il s'est trompé parce qu'il ne veut pas que son autorité soit affaiblie. Cette tactique a été payante sur le plan électoral. Dès lors qu'elle lui réussit, il ne risque pas de l'abandonner. Mais cela implique que les forces américaines restent indéfiniment en Irak, que la date des élections dans ce pays est maintenue au 30 janvier, bien qu'il s'agisse d'une consultation fantôme où même l'adresse des bureaux de vote est tenue secrète et que M. Bush s'attend à encore plus de pertes en vies humaines, encore plus de chaos avant une pacification décidément lointaine. Pour l'Irak, on peut s'attendre à un statu quo de violence : l'Amérique ne peut ni s'en défaire ni en finir avec l'insurrection.
Pour le Proche-Orient, George W. Bush n'est pas vraiment le maître de cérémonie ; la décision unilatérale d'Israël d'évacuer Gaza, la mort de Yasser Arafat, l'élection du nouveau président palestinien, Mahmoud Abbas, ses efforts pour museler les fanatiques n'ont rien à voir avec l'influence de l'Amérique. Il y a deux hommes, Sharon et Abbas, qui mènent la danse avec courage et à leurs risques et périls. Et M. Bush est d'autant plus satisfait de l'évolution de la crise au Proche-Orient qu'il n'a pas besoin de s'investir personnellement pour obtenir des résultats qui, pour le moment, lui conviennent.
Bien entendu, on peut toujours prétendre que si les Israéliens et les Palestiniens parviennent à un modus vivendi, c'est grâce à quelqu'un d'autre, l'Amérique, l'Europe, Bush ou Blair. Mais ce n'est pas vrai. Le Premier ministre britannique organise à Londres une conférence sur le Proche-Orient : elle est parfaitement inutile ; simplement, Blair veut faire croire aux gouvernements arabes que le Royaume-Uni ne se contente pas de guerroyer en Irak, mais qu'il milite aussi pour la paix.
L'impuissance américaine.
Les changements qui vont intervenir dans la diplomatie américaine ne doivent pas être attribués à un quelconque volontarisme américain. Ils étaient déjà perceptibles pendant le troisième tiers du précédent mandat de M. Bush. Ils ne sont, en réalité, que la traduction de l'impuissance des Etats-Unis dans plusieurs domaines et serviront à cacher cette impuissance : quand tout sera perdu en Irak parce que la preuve aura été fournie que les Etats-Unis ne peuvent pas y imposer une solution par la force, il faudra bien faire appel au monde arabe et à l'Europe pour trouver un moratoire.
Face à la nucléarisation de la Corée du Nord, les Américains ont déjà dit qu'ils ne feraient strictement rien ; ils s'apprêtent à retirer de Corée du Sud la majeure partie des 37 000 soldats qui y stationnent et dont les Sud-Coréens, fort peu reconnaissants, souhaitent le départ.
Face à la nucléarisation de l'Iran, plus réelle que les armes de destruction massive qui n'ont jamais été trouvées en Irak, Washington est beaucoup plus ferme, mais laisse tout leur temps aux Européens pour tenter de conclure un compromis (d'ailleurs improbable) avec Téhéran.
Le « nouveau » Bush n'est donc qu'un Bush infiniment moins triomphaliste depuis ses échecs. Le fait qu'il continue à arborer un optimisme sans bornes ne le rend nullement aveugle à la réalité. Il n'a pas décidé de changer, il est obligé de le faire.
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