Actualité
La nutrigénétique est une nouvelle discipline susceptible d'avoir des applications pratiques majeures dans la prise en charge nutritionnelle personnalisée. Elle étudie les interactions entre aliments et gènes et précise leurs rôles au niveau de chaque organe ou tissu.
On sait grâce à elle que certaines catégories de gènes interviennent par exemple dans l'obésité ou dans les maladies cardio-vasculaires (conditionnant le niveau basal de LDL cholestérol et de triglycérides). D'autres jouent un rôle dans le diabète en modulant la réponse postprandiale : ainsi, certains aliments sont-ils éliminés ou utilisés plus ou moins rapidement et sont présents plus ou moins longtemps au niveau du plasma. Ces gènes sont susceptibles également de faire varier la réponse de l'organisme à une activité physique ou à un régime alimentaire restrictif : on comprend mieux pourquoi certains individus améliorent de manière considérable leur poids et/ou leurs constantes cardio-vasculaires et d'autres pas. Par conséquent, la connaissance des différents gènes impliqués et de leurs variations d'un individu à l'autre devrait permettre d'ajuster les variables d'un régime et d'adapter le type d'exercice physique.
Par ailleurs, la nutrigénétique pourra sans doute guider le traitement de certaines pathologies. « On avait jusqu'à présent l'habitude de traiter de la même manière tous les patients ayant le même type de pathologie ; or on sait aujourd'hui, surtout en ce qui concerne les maladies communes bien déterminées, que chaque individu possède un lot de variants de gènes qui lui est propre et qui lui confère une susceptibilité différente de celle de son voisin. Il paraît donc logique de réserver un certain type de traitement à une population de sujets répondeurs, en fonction de la génétique, précise le Pr Claudine Junien*. »
Des polymorphismes génétiques qui modifient le métabolisme
A titre d'exemple, en ce qui concerne le métabolisme des matières grasses du lait, des différences importantes existent entre les individus, en fonction de leur génotype. Elles sont en partie expliquées par le polymorphisme d'un gène, la FABP2 (Fatty-Acid-Binding-Protein), en position 54 : à ce niveau, selon les individus, le code message génétique est modifié et peut coder soit pour une thréonine, soit pour une alanine. Les deux séquences sont à l'origine de réponses métaboliques différentes. C'est ce qui ressort d'une étude qui a comparé deux groupes d'individus soumis à des régimes alimentaires différents. Un groupe d'individus jeunes a été soumis à un régime riche en graisse (38 %) avec 20 % de graisses saturées, alors qu'un autre groupe comparable a eu un régime moins riche en graisse (20 %) dont beaucoup moins d'acides gras saturés. Lorsque l'on compare la glycémie de ces deux populations, chez ceux qui possèdent l'allèle alanine en 54, les taux de glucose ne sont pas modifiés quel que soit le type de régime. En revanche, chez les individus qui sont homozygotes pour l'allèle thréonine en position 54, le taux de glucose reste relativement élevé chez les individus soumis à un régime riche en graisses saturées. « Il est possible d'extrapoler les résultats de cette observation et de proposer, aux personnes porteuses de l'llèle thréonine avec des glycémies pathologiques, un régime pauvre en graisses saturées, cette mesure n'étant probablement pas utiles aux autres individus », précise le Pr C. Junien .
Un gène protecteur dans le diabète de type 2
Un deuxième exemple concerne le diabète de type 2. Différentes populations (italiennes, finlandaises ou japonaises...) ont été étudiées : un polymorphisme dans le gène PPARG a été mis en évidence en position 12, une alanine (ALA) remplaçant la thréonine (THR) qui est l'allèle normale. L'alimentation de base de ces populations est différente, ainsi que le rapport AGPI/AGS(1). On a regardé chez ces individus comment variait l'IMC (indice de masse corporelle) et le taux d'insuline à jeun en fonction du rapport AGPI/AGS. Chez la plupart des sujets porteurs de l'allèle ALA, lorsque le rapport AGPI/AGS augmente, l'IMC diminue, ainsi que l'insuline à jeun. Or l'effet protecteur de cet allèle ne se voit pas si le rapport ne devient visible que si le rapport AGPI/AGS augmente.
« Au total, précise la généticienne , il y a plusieurs paramètres à considérer : premièrement, le terrain génétique responsable de la susceptibilité individuelle, déterminée par une constellation de gènes qui va donner son phénotype au sujet. Deuxièmement, le terrain génétique responsable de la réponse, lui aussi déterminé par une constellation de gènes qui, par leurs polymorphismes, déterminent la réponse à un régime ; troisièmement, l'aliment lui-même avec toutes ses variantes possibles, mode de cuisson, accompagnement... Les informations issues de la génétique et des interactions-gènes alimentation sont innombrables : la difficulté est de les trier et de leur donner un sens. Mais l'on peut penser que des pans entiers de notre alimentation et de nos comportements alimentaires s'en trouveront progressivement modifiés dans les années à venir. »
D'après une intervention du Pr C. Junien (hôpital Necker, unité INSERM 383 Génétique-Chromosomes-Cancer, Paris) lors d'une conférence de presse du congrès Congrilait.
(1) Rapport acides gras polyinsaturés/acides gras saturés.
Faut-il distinguer nutrigénomique et nutrigénétique ?
La nutrigénomique étudie la structure, la régulation et le rôle des gènes impliqués dans le métabolisme et le mode d'action des nutriments. Les aliments « allument » ou « éteignent » des gènes. Ainsi, la nutrigénomique devrait permettre de savoir comment un certain régime ou certains nutriments sont susceptibles de modifier dans la population, de façon large, l'expression des gènes. Les habitudes alimentaires de chacun mais aussi la consommation d'alcool peuvent se traduire par des profils d'expression de gènes très personnalisés.
La nutrigénétique, quant à elle, étudie la façon dont un individu va réagir à certains aliments comparé à un autre individu. Elle détermine les bases héréditaires de la variabilité de la réponse à des aliments, secondaires à des mutations. Les gènes impliqués dans le métabolisme des aliments sont susceptibles de présenter des variations génétiques (des polymorphismes), qui expliquent que deux individus ne vont pas réagir de la même façon à un même type d'alimentation. Les variations génomiques et génétiques se superposent : on assiste à une modification de l'expression des gènes en fonction de l'alimentation et en même temps à une modification de l'expression du gène du fait des variations génétiques.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature