Courrier des lecteurs

De généraliste à médecin-conseil

Publié le 01/06/2018

Nous fûmes médecins, voire chirurgiens ; puis officiers de santé après la révolution de 1789. Nous sommes devenus médecins de famille quand les spécialistes ont envahi le marché ; mais il n’y a plus de familles. Alors, on nous dit généraliste. Celui qui fait de tout un peu, donc superficiellement, mais la judiciarisation actuelle ne permet plus cette fonction. Par complexe d’infériorité, les syndicats ont réclamé, on nous a alors affublés pour nous ridiculiser d’une couronne sous forme d’un oxymoron : spécialiste en médecine générale, car seulement un peu en tout… Donc avec seulement un peu du tarif des spécialistes. On a bien essayé le titre de médecin référent, mais ce fut un échec. On nous appelle maintenant médecin traitant ; donc pas celui qui est capable de faire un diagnostic, mais celui qui surveille le traitement prescrit par le spécialiste. Mais cette dénomination n’a déjà plus de sens alors qu’on demande aux médecins de se regrouper, les patients n’ayant alors plus un, mais une « maison médicale traitante ». On veut faire de nous des médecins de proximité ? Un livre proposé par le dernier bulletin du conseil de l’Ordre a comme titre : « Télémédecine : la vraie médecine de proximité » ; exit. Ou médecins de premier recours ? Mais comme on reçoit sur rendez-vous à plusieurs jours (plus c’est loin, plus ça montre qu’on est V.I.P) à l’instar des spécialistes, avec plages horaires limitées, les patients vont directement aux urgences. C’est une catastrophe politique !

Alors, on va devenir médecin-conseil ; non pas des caisses, mais des patients. L’heure est urgemment aux économies, pas à celle de faire plaisir aux médecins.

Il est difficile de connaître les vraies courbes du nombre des professionnels de santé, mais on peut se faire une idée (à mesurer en temps d’activité à temps complet). Le nombre des médecins baisse, celui des infirmières va exploser selon Adeli. Une infirmière, c’est moins cher qu’un médecin. Pourquoi faire faire par un médecin ce qu’une infirmière spécialisée peut faire ? Nous sommes en première ligne, mais cela suivra pour les spécialistes. Je me souviens avoir pris un RV hospitalier pour une FA auprès d’un cardiologue, on m’a imposé la spécialiste de la FA. Pourquoi payer 15 ans d’étude au futur spécialiste d’un symptôme, alors qu’une infirmière formée pourrait faire l’affaire, avec référence au médecin libéré des tâches subalternes, en cas de besoin ?

Alors, face aux médecins surchargés, on va leur faire déléguer les tâches ; dans la maison médicale à la Knock, le patient sera accueilli par une infirmière, le vrai nouveau médecin de premier recours et de proximité. Elle prendra la tension, le pouls, la gazométrie, le poids, etc. Elle remplira les protocoles d’interrogation et d’examen ; l’ordinateur donnera la marche à suivre. Pourquoi utiliser le temps précieux du médecin pour ces tâches subalternes ? D’ailleurs, à part les homéopathes, qui interroge et examine encore aujourd’hui les patients ? Je me souviens d’une enfant de 8 ans qui avait 40° et une pétéchie sur le ventre, que j’ai adressée au service d’urgence, avec une lettre. Le soir, j’ai pris des nouvelles, l’infirmière m’a ri au nez, que l’enfant allait très bien sous paracétamol. Dubitatif, j’ai rappelé le lendemain, changement de ton, elle avait eu une ponction lombaire, confirmant la seule méningite à méningocoque que j’ai rencontrée. Le diagnostic n’est-il pas passé du clinique au paraclinique, tellement plus performant, mais certes tellement plus coûteux ! Modèle de médecine exposé à la face du monde plein d’admiration et de jalousie. Cocorico. Puis une autre infirmière vaccinera, fera les pansements, les petites sutures, les examens gynécologiques, une autre renouvellera en fin de parcours du patient l’ordonnance, voire, fera un arrêt de travail selon le protocole imposé par l’intelligence artificielle locale.

Et le médecin, libéré de toutes ces taches chronophages, que fera-t-il ? Il pourra enfin se consacrer aux tâches intellectuelles les plus nobles pour lesquelles il a été scientifiquement programmé par sa formation : le conseil. Il sera médecin-conseil voire conseil-Chef à la maison médicale.

1 - Répondre aux demandes des infirmières quand elles auront un doute. Une plaie qui semble dépasser les compétences de l’infirmière ? Elle demandera au médecin qui ne sait pas suturer si elle peut suturer et comment, ou s’il faut envoyer au spécialiste. Je me souviens, jeune et nouvel interne de cardiologie dans un hôpital périphérique au temps ou l’internat était optionnel, m’être référé au patron suite à l’incapacité des infirmières à piquer un patient ; j’ai suggéré au patron-spécialiste cardio-vasculaire de poser une sous-clavière, il m’a répondu : « mon pauvre ami, j’ai jamais fait une piqûre de ma vie, même pas une IM, alors, c’est pas aujourd’hui que je vais commencer ! » J’ai alors fait comme Boulgakov, j’ai pris un livre, et je me suis débrouillé tout seul. Chic, on va revenir au temps jadis ! La plaie est jugée trop importante pour l’infirmière ?

2 - Le rôle du médecin conseil sera de sélectionner le bon spécialiste. Je me souviens avoir adressé à trois reprises un patient qui avait une hyperleucocytose croissante et plus qu’inquiétante, au spécialiste dans la région, de la LMC. Le patient s’étant fait accuser de lui faire perdre son temps, je l’ai adressé ailleurs, il avait une splénomégalie myéloïde. Un des rôles du médecin-conseil sera donc de choisir sans se tromper entre le spécialiste de la main droite ou de la main gauche pour éviter les erreurs bien connues en ce domaine.

3 - Une infirmière aura une difficulté avec l’examen clinique ? Je me souviens de ma fille de 10 ans hospitalisée en CHU, avec une fréquence cardiaque croissante peu acceptable ; l’infirmière a appelé le spécialiste de garde, qui a seulement et très sérieusement pris le poignet de ma fille, qui a pris le pouls en regardant sa montre… 140 ; exactement ce que disait le scope qui était devant lui ! Il ne savait pas que j’étais médecin, sinon il se serait tout de suite rendu compte qu’il me prenait pour un imbécile.

4 - Difficulté avec le renouvellement de l’ordonnance ? Le médecin sera là pour choisir et conseiller le spécialiste que le patient devra aller consulter pour le modifier.

5 - Mais le principal travail du médecin sera d’être scotché sur son ordinateur, ce qu’il fait déjà devant le patient, mais ce qui est, il faut l’avouer, très perturbant pour le patient. La solution est donc de supprimer le problème, donc le patient, et le médecin pourra travailler en toute quiétude. Isolé, il remplira, dans son grand bureau digne de sa fonction, les protocoles personnalisés à faire valider par l’autre (celui des caisses) ; il aura pour mission de faire des courbes statistiques pour contrôler l’évolution catastrophique sur ses patients des grandes maladies générées par notre modèle économico-sociétal : obésité, HTA, diabète, cholestérol, cancers, addictions, illettrisme, nos politiques s’évertuant à faire traiter curativement par la médecine ce qui, préventivement est du ressort de l’organisation de nos sociétés, donc de la responsabilité politique, tout en accusant les médecins d’incapables, au motif que dans quelques rares cas, ce sont de vraies maladies qui se camouflent dans la masse croissante. Comme un bon chef d’entreprise, il fera des courbes sur les résultats et des projections sur la santé financière de sa maison médicale pour les présenter aux autorités locales. Il organisera des réunions multidisciplinaires locales pour se faire une idée sur les patients.

Quand vous faites appel, par exemple, à une entreprise moderne de plomberie, le plombier que vous contactez vient pour le devis, et ce sont ses ouvriers qui font le travail, pas lui. Pourquoi voulez-vous que l’entreprise médicale échappe à cette logique commerciale, avec l’intellectuel payé très cher, l’employé au minimum ? Alors, la grande question est : le médecin verra-t-il encore les patients ? Oui, de la même façon, pour faire le devis, si on peut parler ainsi. Je me souviens de Gérard, la quarantaine, qui à la suite d'un traumatisme s’est retrouvé avec un syndrome de Korsakov ; (en bonne infirmière IPA avant l’heure) j’ai adressé au médecin-conseil pour mise en invalidité : refus. J’ai pris le téléphone pour explications : le médecin a posé des questions, le patient a répondu correctement, donc pas d’invalidité. J’ai alors demandé :

- « Sans indiscrétion, vous pouvez me dire vos questions et ses réponses ? 

- Oui ; j’ai demandé s’il était marié : oui ; s’il avait des enfants : oui ; combien : 4 ; comment ils s’appellent ; Pierre, Paul, Jacques et Jean.

- Pardon, je vous coupe, il n’est pas marié, il n’a pas d’enfants, il fabule tout à fait naturellement n’importe quoi mais d’apparence réaliste, c’est sa maladie.

- Oh ! Mais vous comprenez, on n’a que 5 minutes pour l’examen, alors il faut faire une demande d’aggravation pour qu’il puisse revenir, car je ne peux rien corriger. »

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Dr Yves Adenis-Lamarre, Angoulême (Charente)

Source : lequotidiendumedecin.fr