LA BIOLOGIE de l'os est beaucoup mieux connue depuis ces dernières années. Parmi les études les plus spectaculaires, on note l'action de la leptine sur la masse osseuse, dévoilée par les travaux de Gérard Karsenty et son équipe (Baylor College of Medicine, Houston).
Ces éclaircissements sont d'autant plus intéressants qu'ils font entrevoir une stratégie thérapeutique pour prévenir l'ostéoporose.
L'os, rappelons-le, est le siège d'un remodelage permanent comprenant deux phases : la résorption de l'os préexistant par les ostéoclastes, suivie de la formation de l'os nouveau par les ostéoblastes. En contrôlant la différenciation des ostéoclastes, les ostéoblastes contrôlent aussi, directement ou indirectement, tout le processus du remodelage osseux. Dans les conditions normales, résorption et formation s'équilibrent afin de maintenir constante la masse osseuse.
Dans le cadre de recherches visant à identifier une hormone régulant la formation osseuse, l'équipe de G. Karsenty avait identifié la leptine, hormone produite par le tissu adipeux, comme un puissant inhibiteur de la formation osseuse.
Cette action antiostéogénique s'effectue par un relais cérébral (fixation de la leptine sur des neurones de l'hypothalamus) et un médiateur périphérique (le système nerveux sympathique) sur les récepteurs bêta2-adrénergiques présents sur les ostéoblastes.
L'administration de bêtabloquants (inhibiteurs des bêta2-récepteurs) à des souris accroît leur masse osseuse et prévient, chez les souris ovariectomisées, l'apparition d'une ostéoporose.
Ostéoformation et résorption.
Dans une étude parue en février dans la revue « Nature », Karsenty et son équipe ont révélé que la leptine n'agit pas uniquement sur l'ostéoformation, et qu'elle régule la résorption osseuse par deux voies antagonistes aboutissant toutes deux à l'ostéoblaste.
« Nous avons toujours travaillé en supposant que les deux phases du remodelage osseux doivent être contrôlées par les mêmes types de mécanisme. Dans cette logique, le fait qu'il existe une régulation neuronale de la formation osseuse impliquait qu'il devait également y avoir une régulation neuronale de la résorption osseuse », expliquait au « Quotidien » le Pr Karsenty.
Des souris K. O. tirées des oubliettes.
Cette hypothèse était juste, et la preuve a été apportée par l'étude des souris K. O. privées des récepteurs bêta2-adrénergiques. Ces souris, comme l'explique Karsenty, « étaient tombées dans les oubliettes de la science car elles ont un poids normal, un appétit normal, et toutes leurs hormones sont normales ». Mais, en analysant leurs os, les chercheurs ont pu découvrir deux anomalies : premièrement, elles ont un surcroît de masse osseuse ; deuxièmement, l'analyse cellulaire a permis de mettre en évidence une baisse de résorption osseuse.
Ces souris K. O. bêta2 produisent donc davantage d'os et en résorbent moins. De plus, après ovariectomie, alors que les souris normales (tout comme les femmes ménopausées) perdent de l'os, les souris K. O. bêta2 ne présentent pas de résorption osseuse accrue et conservent donc toute leur masse osseuse.
Cela signifie que le système nerveux sympathique (et la leptine) est nécessaire pour le développement de l'ostéoporose postménopausique. L'utilisation thérapeutique de ces résultats est justifiée par le fait que le système nerveux sympathique est un médiateur spécifique de la fonction régulatrice exercée par la leptine sur l'os, et n'intervient pas dans les autres fonctions cardinales de la leptine comme l'appétit et la reproduction.
Le système nerveux sympathique, par sa double fonction sur la formation et la résorption d'os, offre donc une cible idéale pour le développement pharmacologique visant à lutter contre l'ostéoporose. « Si un groupe pharmaceutique faisait l'important effort financier nécessaire au développement d'un inhibiteur des bêta 2-récepteurs agissant spécifiquement sur l'os (en modifiant, par exemple, les inhibiteurs actuels non spécifiques), cette compagnie disposerait presque assurément d'un médicament capable de prévenir l'ostéoporose », estimait le Pr Karsenty. « Il est également possible, a-t-il précisé , que ce traitement utilise des bêtabloquants génériques déjà sur le marché et vendus à moindre prix. »
Au niveau moléculaire, le système sympathique (et la leptine) favorise la résorption d'os en augmentant dans les progéniteurs ostéoblastiques, grâce à l'action d'un facteur de transcription présent seulement dans les ostéoblastes, l'expression du facteur Rankl, lequel induit la différenciation des ostéoclastes. L'utilisation d'un facteur de transcription spécifique aux ostéoblastes explique en partie la spécificité d'action des bêtabloquants.
Une horloge moléculaire dans l'os.
Les chercheurs ont aussi montré que la leptine inhibe la résorption osseuse, par l'intermédiaire du neuropeptide Cart produit dans l'hypothalamus, qui induirait dans les ostéoblastes une baisse du signal Rankl.
L'étude parue en septembre, dans la revue « Cell », élucide le mécanisme moléculaire de l'action antiostéogénique de la leptine : cette action est médiée par une horloge moléculaire dans les ostéoblastes.
A la recherche d'une régulation circadienne du remodelage osseux, l'équipe a étudié des souris déficientes en gènes d'horloge. Leurs expériences ont indiqué que les gènes d'horloge sont exprimés dans les ostéoblastes et qu'ils inhibent, sous le contrôle de la leptine et du signal sympathique, la formation d'os. Les gènes d'horloge inhibent la prolifération des ostéoblastes en inhibant l'expression de c-myc, ce qui supprime l'expression des cyclines G1 (cycline D1) contrôlant la transition du cycle cellulaire de la phase G1 à la phase S.
Enfin, une observation discordante a permis aux chercheurs de découvrir que la leptine, via le sympathique, stimule aussi modérément la formation d'os en activant dans les ostéoblastes la famille AP-1 des facteurs de transcription. Ceux-ci favorisent l'expression des mêmes régulateurs du cycle cellulaire (cycline D1) qui étaient inhibés par les gènes d'horloge.
Au total, la leptine régule donc, via le cerveau, les deux aspects du remodelage osseux (résorption et formation) en agissant sur chacun par un double mécanisme antagoniste.
Pour G. Karsenty, il est possible que la régulation du remodelage osseux ait été la fonction ancestrale de la leptine. Cette hypothèse s'appuie sur plusieurs arguments : la capacité de la leptine à réguler puissamment les deux aspects du remodelage osseux, la spécificité d'action de ses médiateurs, enfin le fait que la leptine, contrairement aux autres hormones régulant l'appétit et le poids, apparaît durant l'évolution des vertébrés, donc en même temps que le remodelage osseux, et pas antérieurement.
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