MADAME RICE s'est efforcée de dégonfler la crise en affirmant à ses principaux interlocuteurs européens, notamment la chancelière allemande, que les Etats-Unis « ne torturaient pas » leurs prisonniers et que les alliés de l'Amérique ne devaient pas se préoccuper des comportements de la CIA. Il demeure que l'agence américaine de renseignements est soupçonnée d'avoir transporté des groupes de prisonniers, capturés en Afghanistan ou en Irak, qui auraient subi ce qu'on peut appeler le traitement d'Abou Ghraib, sinistre prison de Bagdad dont des géôliers militaires américains ont été condamnés pour les mauvais traitements qu'ils ont infligés à des détenus.
Des Européens rétifs.
Les explications de Mme Rice n'ont pas été convaincantes jusqu'à présent. Désireuse de renouer avec l'Amérique des liens que Gerhard Schröder avaient distendus, justement à cause de la guerre en Irak, Angela Merkel s'en est néanmoins déclarée satisfaite et a même donné le signal d'une reprise des bonnes relations germano-américaines.
Les révélations de la presse américaine et non-américaine méritent pourtant plus que les dénégations incomplètes de Condoleezza Rice qui a pensé qu'elle pouvait se rendre en Europe sans apporter à ses interlocuteurs la totalité des éclaircissements qu'ils attendaient d'elle. Elle les aura trouvés rétifs, notamment Tony Blair, qui, cette fois, a refusé de s'aligner sur Washington.
Mme Rice bénéficie de deux atouts : les activités de la CIA étant secrètes par nature, il sera très difficile aux Européens d'apporter les preuves de ce qu'ils avancent ; en outre, la secrétaire d'Etat ne perd jamais l'occasion, dans ses entretiens, de rappeler que les Etats-Unis se battent pour leur sécurité et pour celle de leurs alliés. Sous-entendu : les Américains souhaitent conduire la guerre de leur choix contre le terrorisme et la cause de la sécurité est assez prioritaire pour que vous et nous fassions des accommodements avec la morale.
Mme Rice connaît la réponse : si nous traitons nos ennemis comme ils nous traitent, ils auront gagné cette bataille parce que leur principal objectif est de démontrer que nous ne valons pas mieux qu'eux. La secrétaire d'Etat n'ignore pas que souffle dans son pays un vent de colère au sujet de la torture. Le sénateur républicain John Mac Cain, qui a été longuement torturé au Vietnam, répète à l'envi que l'Amérique ne doit pas s'abaisser au niveau des méthodes utilisées par ses ennemis ; et que le combat contre les terroristes de tout poil n'est valable que parce que, justement, il est livré par des démocrates.
La rigueur d'Alliot-Marie.
Il y a peu de chances que les gouvernements européens ouvrent, sur ce sujet, un conflit avec les Etats-Unis. D'autant que personne ne souhaite clouer au pilori la gracieuse mais puissante Condoleezza Rice, qui n'est pas secrétaire à la Défense et qui, pour avoir repris le contrôle absolu de la diplomatie américaine, n'est pas obligée de rendre des comptes à la place de Donald Rumsfeld (secrétaire à la Défense).
L'attitude des dirigeants américains est à mettre en parallèle avec celle des dirigeants français. Confrontée à un crime commis par l'armée en Côte d'Ivoire, la ministre française de la Défense, Michèle Alliot-Marie, a, sans hésiter, limogé le général qui commandait les forces françaises stationnées dans ce pays au moment des faits. D'autres sanctions ont été prises contre des officiers supérieurs et des militaires moins gradés. Pour ce que l'on sait de l'incident, un officier aurait suggéré à des subalternes de se débarrasser d'un « coupeur de routes » ivoirien, un brigand connu pour ses méfaits et auquel des soldats américains n'auraient sûrement pas ouvert les bras. Mme Alliot-Marie en a fait une question de principe : l'armée française ne liquide pas ses prisonniers. Face à l'inquiétude de nos militaires, surpris par la rigueur de la ministre et irrités par la chute de plusieurs dominos dans la hiérarchie, la ministre a tenu bon.
POUR LES CRIMES DE GUERRE, LA FRANCE N' A PAS L'INDULGENCE DES ETATS-UNIS
Pourtant, elle n'ignorait aucun des faits d'armes du général commandant le corps français en Côte d'Ivoire, connu pour son courage, mais aussi, semble-t-il, pour une indépendance qui convient mal à un système hautement hiérarchisé. Elle n'ignorait pas davantage le malaise qu'elle venait de provoquer dans l'armée alors qu'elle avait réussi à nouer avec nos généraux des liens étroits qui garantissent l'autorité qu'elle exerce sur eux.
Sans doute n'a-t-elle pas voulu entacher ce parcours sans faute par un laxisme qui aurait provoqué un scandale s'il avait été révélé par la presse. Mais il nous semble que Mme Alliot-Marie a tenu à faire savoir à l'opinion française et internationale que l'armée française n'a pas, pour ce genre de crime, l'indulgence des Etats-Unis ; qu'elle ne doit, en aucun cas, transgresser les règles ; et qu'enfin la tension en Côte d'Ivoire est assez forte pour qu'on ne l'aggrave pas encore par des manquements comme l'assassinat pur et simple, fût-il celui d'un individu méprisable.
Pourtant, les Français pourraient nourrir pour certains Ivoiriens un vif ressentiment depuis qu'ils ont bombardé nos troupes et fait neuf morts. L'intransigeance de Michèle Alliot-Marie a néanmoins démontré que la France, quel qu'ait été jadis son comportement en Indochine ou en Algérie, ne passe plus aucun compromis avec ce qu'on pourrait appeler l'éthique militaire. C'est tout à l'honneur de la ministre de la Défense.
En Côte d'Ivoire toutefois, nous n'avons pas affaire à des terroristes, des talibans ou des insurgés irakiens. Il est très difficile de ne pas entendre Mme Rice quand elle rappelle la nature, cruelle jusqu'à l'indescriptible, de ses ennemis, qui doivent se moquer des états d'âme occidentaux ; et ne peuvent être combattus efficacement que dans le cadre d'une guerre secrète et impitoyable qui favorise les débordements.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature