IL N'Y A RIEN de réaliste dans la manière dont cette pièce de Lars Norén, écrite en 1994, est représentée aujourd'hui à Nanterre. Le décor de Gilles Taschet l'affirme avec, sur le grand plateau occupé par un ensemble volontairement gris, vaste salle sur laquelle donnent de nombreuses portes, un immense panneau en couleurs. On croit à une de ces grandes photographies d'heureux lointains qui ornent les murs des restaurants, panoramas utopiques. Il s'agit d'un paysage que l'on peut croire italien, avec un grand conifère au premier plan, une campagne luxuriante, un horizon de collines et de ciel bleu. C'est comme une vaste baie. Tout au long de la représentation, de l'eau coule de l'arbre, comme s'il pleurait. Puis, à la fin, il pleuvra tandis qu'une silhouette d'évadé apparaîtra, immense.
On ne sait pas trop quelle fonction a cet extérieur de rêve... Il fonctionne autant pour le spectateur que pour les protagonistes, enfermés dans leur souffrance psychique, dans l'établissement hospitalier où ils ont leurs habitudes.
Rien de réaliste, on l'a dit et, parfois, c'est à la salle que s'adressent les « personnages ». Hommes et femmes, jeunes et plus âgés, totalement brisés ou tout juste largués. En souffrance. Mais comme tout être humain.
Ils sont ensemble, dans la grande salle où le personnel médical se réduit à un infirmier bienveillant. On ressent le léger décalage du temps : 1994. Hier et il y a longtemps. Mais le désarroi est toujours le même.
Jean-Louis Martinelli s'était déjà intéressé à une pièce « sociétale » de Lars Norén. Avec « Catégorie 3.1 », l'écrivain suédois plongeait alors au coeur du monde des SDF, avec une complaisance, pour ce qu'il y a de dégradant, d'abandon total, qui gênait. Il évite tout cela dans « Kliniken » (on trouve le texte traduit sous le titre « Crises ») pour se fixer sur les êtres et leurs douleurs, leur dignité.
Cela donne une série de portraits très touchants et d'autant plus sensibles qu'ils sont portés par des interprètes remarquables et très bien distribués. Il y a une vérité de la parole, une profondeur de la tendresse qui unit ces êtres enfermés dans le même service, des élans d'agressivité aussi qui sonnent juste.
Des malades parlent à d'autres malades.
Les médecins seront intéressés par le fait que l'on ne voit que des « malades » qui parlent à d'autres « malades », comme si l'on se passait ici de tout psychiatre, de tout personnel soignant, ou presque. C'est du théâtre... mais pas seulement.
Par-delà la représentation, il y a les intentions et les commentaires. Du metteur en scène lui-même ou, comme l'autre jour à Nanterre, de spécialistes. Un débat a eu lieu à propos de la projection d'un film consacré au Cash de Nanterre, le centre d'accueil et de soins hospitaliers. Une revue, « Cassandre », était associée : elle vient de publier un numéro spécial consacré aux interventions artistiques dans les lieux de relégation, hôpitaux psychiatriques, centres des SDF, prisons.
Demeure du jeu, l'engagement de comédiens ultrasensibles à louer, à applaudir, tous. Ils sont douze. Bien sûr, il y a des effets « numéros » d'acteurs et/ou de personnages. Car chacun est en représentation. Mais, tel quel, le spectacle va au-delà de la compassion, de l'empathie et nous renvoie à des questions essentielles, sociales, politiques, existentielles.
Théâtre de Nanterre-Amandiers, à 20 h 30, du mardi au samedi, en matinée le dimanche à 15 h 30 (01.46.14.70.00). Durée : 2 h 45 entracte compris. Jusqu'au 8 avril.
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