CLASSIQUE
On ne peut imaginer choix plus parfait pour un concert intime que le Wigmore Hall de Londres. Construit en 1901 par la firme de pianos allemande Bechstein, et attenant aux salles d'exposition des pianos, il fut inauguré par un concert du pianiste Busoni et du violoniste Isaÿe.
Les proportions de cette salle de concert située au centre de la capitale britannique, son style Renaissance victorien utilisant marbre et albâtre, son acoustique exceptionnelle et la convivialité de ses installations en font un lieu privilégié pour écouter musique de chambre, instruments solistes et récitals de chant. C'est le lieu favori du public londonien et on aimerait que la salle Gaveau, qui pourrait en être l'équivalent parisien, ait une telle chaleur et une programmation aussi riche et soignée, ce qui est loin d'être le cas.
Ce soir-là, le baryton allemand Matthias Goerne, élève de Dietrich Fischer-Dieskau et d'Elisabeth Schwarzkopf, et le pianiste autrichien Alfred Brendel, qui réside à Londres, y étaient réunis pour enregistrer en public deux uvres majeures du répertoire du Lied allemand.
Matthias Goerne s'est fait, lors des dernières saisons, une solide réputation dans les domaines du Lied et de l'oratorio et même à l'opéra, particulièrement dans le rôle de Wozzeck, qu'il chante à Zurich. Il y a quelques années encore de silhouette massive mais athlétique, Goerne, désormais trentenaire, s'est considérablement arrondi et il entre sur scène dans un complet si serré qu'on craint de le voir éclater au premier forte. Si le complet résiste, c'est le col de chemise qui explose dès le premier Lied projetant le bouton sur les spectateurs ! Avec Brendel, plus ascétique et nerveux que jamais à presque 73 ans, il forme un couple de musiciens insolite mais rodé. Ils ont donné ensemble « Winterreise », de Schubert, notamment en 1999 au Carnegie Hall de New York.
Mais le démarrage est dur. Les vignettes de « Die Ferne Geliebte » ne semblent inspirer ni les doigts de Brendel, dont le jeu reste sec et percussif, ni de couleurs au baryton dont le timbre reste blanc et qui tente d'investir la musique par des mimiques et des gestes tout à fait inutiles. Il est vrai que l'illustration de ce cycle est difficile tant le propos poétique en est banal, commun presque, et la musique n'est pas du grand Beethoven.
« Schwanengesang », « le Chant du cygne » de Schubert, est un faux cycle, créé par un éditeur en mal de publication posthume. Il comporte deux blocs de Lieder d'après Ludwig Relstab et Heinrich Heine auxquels s'ajoute artificiellement l'admirable « Die Taubenpost » (Le Pigeon voyageur), de Johann Gabriel Seidl. Goerne et Brendel choisissent, décision respectable, de donner les deux blocs de Rellstab et Heine avec un entracte et de ne pas inscrire au programme ce pigeon intrus.
Un des meilleurs Liedersänger
Goerne aborde « Schwanengesang » avec un certain degré d'expressionnisme. Il y a du Wozzeck dans les Rellstab, notamment dans « Kriegers Ahnung ». Les qualités purement vocales sont excellentes, autant le legato, le contrôle du souffle que la mezza voce ; aigus et graves sont impressionnants, jamais détimbrés, seul le médium reste parfois un peu moins coloré que le reste de la voix. Tout en restant très « physique » dans son expression, il fait passer l'émotion par un chant plus sobre que les mimiques ne voudraient le laisser croire.
La seconde partie du « cycle », avec ses poèmes de Heine d'une qualité poétique supérieure, est ce qu'il réussit le mieux. De l'insouciant « Das Fischermädchen » à l'halluciné « Der Doppelgänger » et à « Der Atlas » qui demandent un contrôle vocal impressionnant, Matthias Goerne affirme qu'il est un des meilleurs Liedersänger de sa génération. On pourra vérifier cela quand l'enregistrement de ces deux soirées au Wigmore Hall sera édité sur disque-compact. Alfred Brendel, enfin détendu dans cette uvre dans laquelle il a servi les plus grands et où son accompagnement est incomparable, reste attentif à chaque nuance du baryton. Les deux reviennent saluer avec un air malicieux avant de donner, comme bis, le « Taubenpost » manquant, Lied au romantisme léger et vraiment salutaire à la fin de cette uvre d'une densité dramatique incomparable.
Wigmore Hall (00.44.20.7935.2141). 36 Wigmore Street London W1U 2BP. Site Internet : http://www.wigmore-hall.org.uk
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