LE PERSONNAGE principal du film est «d'abord un médecin-écrivain avant d'être un héros d'aventures». Voilà comment le Dr Luc Perino décrit son propre «rôle» dans le documentaire « la Consultation », qui sort aujourd'hui sur les écrans. Militant de la médecine générale et clinique, ce généraliste exerce dans la région lyonnaise. Il est l'auteur de trois livres sur sa profession et le système de santé*, et le voilà héros, mais si, de ce que l'on appelle une «belle aventure humaine». Un beau jour, en effet, il reçoit l'appel de l'une de ses lectrices. Elle s'appelle Hélène de Crécy. Diplômée en sexologie et en santé publique, cette jeune femme écrit et réalise des documentaires. Et l'idée lui vient de filmer le défilé des consultations d'un cabinet de généraliste, celui du Dr Perino. «Ce n'était ni la vie ni le rôle du médecin qui m'importait, mais ce qui se passait dans le cabinet», explique-t-elle. Partant du postulat, tiré de son expérience, que «l'on peut parler de tout et aborder toutes les questions tant que l'on reste respectueux de la personne».
A l'enthousiasme de la jeune cinéaste le médecin oppose une bienveillante réticence. «Je pensais qu'aucun patient n'accepterait. Elle m'a dit: “C'est facile”. J'ai voulu voir ses films. Elle m'a alors paru en phase avec ce que j'avais écrit.» Hélène de Crécy a réalisé en 2002 un documentaire sur la sexualité et le handicap physique (« Désir d'amour ») et en 2003 « Secrets d'hommes, la vie ou la prostate ».
Une caméra très discrète.
La réalisatrice adresse son projet de scénario à la productrice et, très vite, l'idée d'un reportage pour la télévision est remplacée par celle d'un «vrai» film de grand écran. Le Dr Perino l'accueille quelques jours dans son cabinet, sans caméra. Puis accepte. Finalement, l'aventure aura duré presque un an, avec trois mois de tournage.
«Quand le patient arrivait, l'assistante d'Hélène et ma secrétaire lui expliquaient le projet et demandaient son accord. Elles lui remettaient un texte qui précisait très clairement que le documentaire serait diffusé en salles, que les visages ne seraient pas floutés, etc.», se souvient le Dr Perino.
Surpris, le médecin l'a d'abord été par la discrétion de la caméra, qui n'a changé ni son propre comportement ni celui des patients. «Elle ne m'a pas gêné du tout. Il est même arrivé qu'elle capte subitement notre attention et que, le patient et moi, nous nous retournions vers elle parce qu'elle avait fait un bruit en bougeant, tellement elle s'était fait oublier.»
Un accord trois fois donné.
«Si le patient ne dit pas la vérité, le médecin ne peut pas travailler», dit la réalisatrice. De fait, les patients qui défilent dans le cabinet du Dr Perino, comme dans tous les cabinets de généraliste, se mettent à nu. Or ils ont majoritairement accepté qu'une telle intimité passe à l'écran. Soixante pour cent ont spontanément dit oui, précise Luc Perino. Seules deux personnes sont revenues sur leur décision, juste après avoir été filmées.
Et puis, le consentement des patients a été une nouvelle fois confirmé lors d'une projection privée. Le secret médical a donc été levé par les patients eux-mêmes, assure le Dr Perino. «Les enregistrements de ceux qui ont refusé ont même été détruits.» Aucun risque n'a été pris. Et le généraliste de relever par ailleurs que «la décision (d'accepter ou de refuser de paraître à l'écran) était indépendante de la gravité du motif de consultation». Ce ne sont pas les patients aux cas les plus délicats qui ont été les plus réticents.
Le visionnage du premier montage était en effet une autre exigence imposée par le généraliste, qui se souvient de cette séance. «C'était extra. Les patients ont fait connaissance entre eux.» Et là encore, personne ne s'est désisté. «Je n'y crois toujours pas, insiste le toubib. J'ai l'impression qu'ils ont même ressenti une certaine fierté à participer à cette aventure.»
Pourtant, certains n'apparaissent pas vraiment à leur avantage. On rit, doucement, mais on rit face à cette dame qui semble venir faire son marché d'antidépresseurs... Mais il est vrai que la caméra porte un regard tendre sur les patients.
Elle donne aussi la parole au médecin, pour des commentaires spontanés, une fois le patient sorti de la salle. «Je me sens honteux et malheureux dans ce genre de consultation où j'ai l'impression de participer à un glissement pervers de la société.» Ou lorsqu'il s'agit de «négocier» un arrêt de travail. «Voilà, j'ai fait de l'éducation civique ou du mauvais paternalisme.»
Désarroi.
«Ce film est une maïeutique, explique Hélène de Crécy. Il se veut un espace de prise de conscience. Ce n'est pas seulement un film sur la santé mais sur le bien-être, le bonheur dans nos sociétés où l'on est censé aller mieux. Et même le désir d'aller mieux, les gens ne l'expriment pas forcément. Le film pose aussi la question du rôle du médecin dans notre société, la dépendance très grande des gens à lui. Peut-il ou doit-il donner autant? On voit à quel point le médecin est destitué de ses fonctions premières en étant la personne clé pour les problèmes familiaux, sociaux. C'est décidément le plus beau métier du monde, mais alors, quelle santé il faut avoir pour l'exercer! Pour ma part, je ne pensais pas qu'il y ait un tel mal-être, un tel désarroi ambiant dans notre société.»
Le Dr Perino se tourne parfois vers la caméra pour exprimer son propre désarroi. «Je suis un entonnoir des maux de la société.» Certains lui ont reproché d'être un peu directif, s'agissant par exemple des conseils qu'il adresse à une jeune maman sur le bienfait du lait maternel ou encore face à un couple désirant avorter.
Le film a été présenté en avant-première au MEDEC, la semaine dernière. «C'était une petite angoisse, confie le médecin. J'appréhendais un peu les réactions de mes confrères.» Une centaine de médecins ont vu, ont ri et s'y sont reconnus. «J'ai été profondément ému par un vieux médecin qui m'a dit: “Je suis heureux de voir que la médecine existe encore”. »
Un étudiant a assuré qu'il allait le faire voir à ses camarades. «Si je peux susciter des vocations en médecine générale, ce serait le bonheur absolu!» Le film est déjà proposé comme support pédagogique en sciences humaines et sociales de première année de médecine dans la région lyonnaise, là où officie le Dr Perino. Il est distribué par la société Ad Vitam qui a mis sur les écrans « le Cauchemar de Darwin » et le tout récemment primé « Lady Chatterley ».
* « Le Bobologue », éditions Pétrelle, 2001 ; « la Sagesse du médecin », éditions L'OEil neuf, 2004 ; et « Humeurs médicales », éditions du Félin, 2006, qui a obtenu le grand prix du MEDEC ex aequo.
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