Figures centrales ou personnages accessoires des romans, les médecins de Zola sont les reflets de leur époque. Les praticiens bourgeois effectuant leurs visites en calèche et les médecins de campagne galopant d'une ferme à l'autre côtoient les médecins des mines, les jeunes internes et les officiers de santé. Encore peu armés face à la maladie, certains n'ont guère que des conseils à prodiguer à leurs patients, comme le mièvre Dr Deberle qui s'éprend de la mère d'une jeune phtisique (« Une page d'amour »).
D'autres se révoltent face à la misère et la souffrance, (le Dr Vanderhagen dans « Germinal ») ou mènent seuls, à l'image du Dr Pascal Rougon, (« le Docteur Pascal ») des études qui permettront de vaincre tous ces maux. Le Dr Boutarel assiste Nana dans sa déchéance physique et morale, tandis que le Dr Cazenove (« la Joie de vivre ») réussit l'exploit, lors d'un accouchement dramatique en pleine nuit, de sauver la mère et l'enfant. Les médecins de Sainte-Anne observent, impuissants et presque moqueurs, les delirium tremens de Coupeau, figure emblématique de l'« Assommoir » (voir encadré).
La maladie du tempérament
Très précisément documentées et décrites, les maladies évoquées par Zola sont à la fois des pathologies individuelles et des « maladies du corps social », comme l'alcoolisme, la phtisie ou les excès de la chair... et de la bonne chère. Dans ce monde où les « gros » meurent de trop manger (« le Ventre de Paris », consacré aux Halles) tandis que les « maigres » noient leur faim dans l'eau-de-vie (« l'Assommoir », « Germinal »...), la maladie et la mort fauchent rarement leurs victimes au hasard, même si de pures innocentes (« Une page d'amour », « le Rêve ») sont frappées elles aussi par l'injustice du sort.
Adepte d'une « médecine de tempéraments » héritée de la pensée hippocratique, Zola classe ses patients en nerveux, sanguins, bilieux et lymphatiques, chaque groupe étant particulièrement exposé à certaines affections, soudaines ou chroniques. Les « coups de sang » survenant après une émotion violente, de même que les « méningites aiguës » et les « fièvres cérébrales » foudroient ou emportent en quelques jours nombre de protagonistes de l'uvre ; ces fins paraissent quelquefois plus enviables que les interminables agonies causées par la phtisie - présente dans six des vingt volumes des Rougon-Macquart -, ou les rhumatismes qui clouent à vie leurs victimes dans leur lit.
Les lois de l'hérédité
Mais bien-portants ou malades, tous les héros de la série subissent les lois implacables de l'hérédité, qui marquent profondément Zola jusque dans les années 1890. Adélaïde Fouque, l'ancêtre des Rougon-Macquart, souffre dès sa jeunesse de crises d'hystérie et termine sa vie internée à l'asile des Tulettes, comme le feront plusieurs de ses descendants. Héritage indélébile légué par la tante Dide à sa famille, sa « tare originelle » y sème névroses incurables, passions obscures et arriérations mentales. La folie meurtrière de Jacques Lantier, le conducteur de locomotive de « la Bête humaine », en marque le paroxysme le plus sanglant. Les Rougon opulents et les Macquart miséreux vivent avec ce glaive placé au dessus de leur tête, et luttent parfois contre lui : quelques-uns surnagent, beaucoup sombrent, mais personne n'en sort intact.
Seul le Dr Pascal, dans l'ultime volume de la série, parviendra à se dégager de cette chape qui plombe la destinée de sa famille, après avoir compris les origines du mal. Isolé dans sa maison, ce médecin qui tente de décoder les lois de l'hérédité témoigne de l'évolution de Zola vers une pensée moins noire, permettant à la série de s'achever sur une note d'espoir.
* Thèse de doctorat en lettres, Université de Paris 3, 1996.
Outre cette étude, et parmi une abondante documentation, se reporter à l'imposante biographie de Zola publiée par Henri Mitterand chez Fayard (1999 et 2001). La « psychopathologie » de Zola a été particulièrement étudiée par A. Fernandez-Zoila dans de nombreux articles spécialisés.
Coupeau, l'itinéraire de la déchéance alcoolique
Lorsque Zola, dans les premières pages de « l'Assommoir », décrit la construction de l'hôpital Lariboisière, non loin du domicile de Gervaise, cette dernière ne sait pas encore que son futur mari, le couvreur Coupeau, y subira plus tard ses premières cures de désintoxication. Travailleur mais influençable, Coupeau tombe un jour d'un toit, et cette chute marque son plongeon dans l'alcool, qui égaie sa convalescence avant de devenir son compagnon de tous les instants. Ponctué de beuveries rabelaisiennes et de brumeux lendemains d'orgies, rythmé par le ronflement de l'alambic aux reflets dorés, « l'Assommoir » avale les hommes, jette les femmes sur le trottoir et brise les enfants. Coupeau et Gervaise tentent plusieurs fois, en vain, d'échapper aux effluves du monstre, puis vendent leurs derniers meubles pour satisfaire à son culte. Il croira guérir à Lariboisière, mais ce sera pour mieux rechuter ensuite, et finir dans une cellule capitonnée de l'hôpital Sainte-Anne. Expulsée de son logement, Gervaise trouve pour quelques semaines un ultime abri sous l'escalier de son immeuble, d'où le fossoyeur qui lui faisait autrefois la cour l'amènera jusqu'à la fosse commune.
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