DE NOTRE ENVOYE SPECIAL
LES ÉLUS LOCAUX n'ont pas attendu les annonces de Roselyne Bachelot relatives aux aides accordées à la création de pôles de santé pluridisciplinaires (« le Quotidien » du 11 février) pour s'emparer du problème de la démographie médicale. La Mayenne, sur ce terrain, est un laboratoire. Dans ce département rural de l'ouest de la France, où la présence médicale est vacillante (69 médecins pour 100 000 habitants), les élus locaux s'investissent dans les questions d'accès aux soins. Rencontre dans son bureau de la mairie, un bâtiment moderne mais sans cachet situé en face de l'église, avec Michel Chenon, maire de la petite ville de Villaines-la-Juhel (2 300 habitants, au coeur d'un bassin de vie de 8 000 habitants). L'édile le dit sans détour : «Dans le nord de la Mayenne, on a en moyenne une installation pour sept départs de médecins à la retraite. Nous, élus, avons pris l'habitude de nous battre pour maintenir les entreprises dans nos régions, aujourd'hui nous apprenons à le faire pour les médecins.»
Des administrés inquiets.
Villaines-la-Juhel et son bassin de vie – cinq médecins généralistes, et un hôpital local – ne sont pourtant pas les plus à plaindre. «Le problème, précise Michel Chenon, c'est que nos médecins sont tous proches de la retraite, sauf un. Si on ne s'en occupe pas maintenant, on risque gros.» Il faut dire qu'à l'approche des élections les habitants font part de leurs inquiétudes : «C'est un vrai sujet électoral, reconnaît le maire. Sur le nombre de médecins et sur les délais de rendez-vous, on sent un début d'exaspération de la population, notamment chez les jeunes parents. Il faut que nous fassions très attention à ne pas accréditer l'idée que, parce qu'on habite une zone rurale, on ne va pas être soigné.» Un jeune couple de Villaines, qui pousse un landau dans la rue, ne dit pas autre chose : «Nous avons hésité à venir nous installer ici il y a un an, car nous avions un peu peur d'attendre longtemps une consultation pour notre enfant.»
La solution, estime-t-on à la mairie de Villaines, c'est le pôle de santé pluridisciplinaire. Depuis un an et demi, les réflexions avancent sur ce dossier technique autant que sensible. Car, outre les questions de financement, il s'agira avec ce pôle de faire venir de nouveaux médecins sans faire fuir ceux qui sont encore là. A ce sujet, une réunion entre praticiens libéraux et élus locaux vient de se tenir à Villaines-la-Juhel, afin d'apaiser les craintes des médecins déjà installés : «Les médecins vivant chez nous et dans les communes avoisinantes semblent d'accord sur le projet,précise le maire, à condition qu'on n'essaie pas de les absorber, mais qu'on crée une coopération et une entraide avec eux.» L'aspect financier n'est pas totalement absent des réflexions de ces médecins : «Ils sont propriétaires de leurs locaux et de leur patientèle,ajoute le maire , et voient bien qu'il n'y a plus de repreneurs. Cette question là est peu évoquée, mais on sent bien qu'elle est pour eux une préoccupation majeure.»
Si l'aspect financier du dossier n'a pas encore fait à proprement parler l'objet de négociations, Michel Chenon semble le connaître sur le bout des doigts. Pour le montage envisagé, il cite pêle-mêle les collectivités locales, le conseil général, la région, la mission régionale pour l'emploi et les caisses d'allocations familiales. «Mais, avant de solliciter ces aides, prévient-il, il faut que nous définissions nos besoins financiers à partir du projet médical et du nombre de professionnels qui vont travailler ensemble.»
Un projet intercommunal.
A 20 kilomètres de là, Louis Thuault est maire du Horps, une toute petite commune de 744 habitants. Avec la commune voisine de Lassay-les-Châteaux, un projet de pôle de santé intercommunal est également en cours de négociation, même s'il semble moins avancé. Louis Thuault, à 71 ans, a choisi de ne pas se représenter, mais il connaît bien le dossier de l'accès aux soins. «Quatre médecins habitent le Horps, indique-t-il, mais un seul exerce en libéral, et il a 60ans. On allait dans le mur si on ne réagissait pas.» Louis Thuault estime que le pôle de santé en projet est «sans doute la seule solution», mais il y met un petit bémol : «Les médecins d'aujourd'hui veulent qu'on leur finance leur cabinet, leur secrétaire, et ne veulent faire aucune garde. Moi je dis qu'il y a quelque chose qui ne marche pas là-dedans.»
Autre lieu, même démarche. A Mayenne, sous-préfecture du département du même nom, le maire actuel, Claude Leblanc, ne se représente pas, mais il a un poulain en la personne de Michel Angot, actuel directeur général des services de la mairie, et conseiller général, dont la liste est intitulée « Renouveler, innover, partager ».
Avec ses 12 000 habitants (25 000 pour l'agglomération), Mayenne est une petite sous-préfecture et, pour Michel Angot, sa démographie médicale est «tendue mais positive». Un fait a cependant rendu palpable le malaise croissant de la démographie médicale : un des médecins généralistes de la ville, disposant d'une très importante patientèle, est brusquement parti à la retraite en novembre dernier, laissant derrière lui des patients désorientés.
«Avant, c'était tendu, mais on y arrivait, indique Jean-Pierre Bernard-Hervé, conseiller général du canton et membre de la liste de Michel Angot, mais un certain nombre des patients du médecin parti à la retraite sollicitent désormais des praticiens dans un rayon de 25kilomètres aux alentours.» Aujourd'hui, une vingtaine de généralistes exercent encore dans le bassin de population de Mayenne. Et, dans les rues, les habitants-électeurs marquent le coup. Une dame âgée «regrette vivement de devoir parfois attendre quatre ou cinq jours pour un rendez-vous chez le généraliste. A mon âge, ça me fait peur, parfois». Un jeune couple ne sait «plus très bien où aller consulter depuis le départ à la retraite» de son généraliste habituel. Et un retraité assis à la terrasse d'un café de la rue commerçante prédit ni plus ni moins «la disparition totale des généralistes de la ville» d'ici à dix ans. Bref, sans constituer une psychose, les problèmes d'accès aux soins sont palpables dans la région, et l'approche des échéances électorales donne des ailes à l'équipe municipale.
A la fin de l'année 2007, une réunion organisée à la mairie a rassemblé les élus (de toutes tendances), le conseil départemental de l'Ordre et les syndicats «pour envisager les pistes possibles en termes de démographie médicale», indique Michel Angot. Cette rencontre a permis de dégager un accord de principe sur l'implantation d'un pôle de santé à Mayenne, si possible adossé à un des bâtiments hospitaliers de la ville. Avec un objectif clair : «Faciliter l'installation de nouveaux professionnels et retenir les praticiens déjà installés, mais qui souhaitent exercer différemment», précise Michel Angot. «A part le bâtiment que nous allons fournir, nous n'avons pas encore défini les formes de l'investissement de la ville, ajoute Jean-Pierre Bernard-Hervé , car il faut avant tout définir un projet médical, et un projet de partenariat entre les médecins et les paramédicaux qui vont cohabiter dans ce pôle de santé.»
Dans le département de la Mayenne, les élections ne semblent pas politisées au sens où on l'entend dans les grandes villes. Mais les élus, sans couleur politique marquée, ont apparemment appris à gérer les nouveaux problèmes qu'ils rencontrent sans s'en remettre uniquement aux aides de l'Etat.
Les maisons de santé rurales du pays de Meslay-Grez
En 2005, à l'initiative de Norbert Bouvet, président des maires du département de la Mayenne, la DASS (Direction des affaires sanitaires et sociales), le conseil général et l'ARH (agence régionale de l'hospitalisation) ont participé à l'élaboration de cartes précisant la densité de généralistes libéraux et l'accessibilité à ces praticiens.
A cette date, plus de 70 % de la population pouvait trouver au moins un généraliste dans sa commune, mais la moyenne d'âge élevée des praticiens – de 50 à 55 ans – laissait à penser que le problème du renouvellement des professionnels de santé allait se poser de façon aiguë à l'horizon 2010. «Au sein de la communauté de communes du pays de Meslay-Grez qui regroupe 23communes et 13000habitants, nous avons choisi de réagir avant même que les problèmes n'arrivent. Après avoir provoqué une réunion avec les 100professionnels de santé de notre région, nous avons pris l'engagement de favoriser la création de deux maisons de santé rurales (l'une à Meslay-du-Maine et l'autre à Grez-en-Bouère) regroupant médecins, infirmières, kinésithérapeutes et dentistes en un lieu unique», fait valoir Norbert Bouvet.
Comme l'explique André Bourdais, maire de Meslay-du-Maine, «dès que le projet médical sera défini par les différents praticiens, les financements de la région, du conseil général, de la CRAM [caisse régionale d'assurance-maladie] et de la MSA [Mutualité sociale agricole]seront débloqués. La réunion qui s'est tenue le 14février 2008 confirme une véritable volonté de mise en place de structures pérennes». Pour l'un des médecins impliqués dans le projet, «la maison de santé rurale devrait représenter un pôle d'attractivité pour les jeunes médecins tentés par les avantages de l'exercice semi-rural dont les conditions se sont très nettement améliorées depuis quelques années (gardes moins difficiles, exercice de groupe qui permet de mieux profiter de son temps) . Ces projets impliquent aussi pour les médecins qu'ils doivent désormais concevoir leur métier comme des prestataires de service public».
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