Hommes de l'art
A u début du XIXe siècle, les travaux de Champollion ont ouvert la voie à la connaissance de différents domaines de la vie des Egyptiens anciens, notamment celui qui concerne la science médicale. Les égyptologues disposent de plusieurs sources, d'importance et de fiabilité inégales : papyrus de différentes époques, témoignages écrits de voyageurs anciens comme Hérodote ou Diodore de Sicile et, plus récemment, études anatomiques et biologiques des momies. Leur étude apporte un certain nombre de notions avérées et un nombre encore plus grand d'hypothèses de probabilités variables. Elle fournit néanmoins un vaste panorama de ce que furent la profession médicale et la médecine dans l'Egypte ancienne.
La source la plus certaine
Les papyrus médicaux, écrits de la main des Egyptiens, constituent la source la plus certaine (un fragment de l'un d'entre eux est détenu au Louvre). Traités de pathologies, d'anatomie ou listes de remèdes témoignent d'une certaine rigueur scientifique tout en soulignant le rôle prépondérant tenu par la religion et la magie en médecine, comme dans tous les autres domaines de la vie des Egyptiens anciens. La science s'est progressivement développée sur ce terreau. Les incantations et les rites étaient utilisés par les médecins pour soigner au même titre que la pharmacopée, qui s'est développée à mesure que l'efficacité de certains remèdes apparaissait tangible.
« Les médecins font davantage confiance aux formules magiques qu'à l'étude », résument les spécialistes contemporains. Cet état d'esprit se transformera avec l'occupation du territoire par des peuples qui feront progresser les connaissances, comme les Grecs qui apporteront un savoir acquis notamment par l'autopsie.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les Egyptiens n'avaient qu'une connaissance très rudimentaire de l'anatomie, car la momification n'avait qu'un intérêt religieux. Seuls sont reconnus certains gros organes comme le foie, le cur, la rate, perçus comme liés entre eux par un système complexe de vaisseaux.
Médecin des maladies incertaines
Les papyrus de différentes époques (Ramsès II, vers 1200 av. J.-C., le Moyen Empire égyptien, vers 1850 av. J.-C. et 300 av. J.-C.) montrent que la science médicale a peu évolué pendant les quatre millénaires de l'Egypte pharaonique (environ 3800 av. J.-C. jusqu'à la domination romaine à partir de 30 av. J.-C.).
Dans son ouvrage récent et documenté « la Médecine au temps des pharaons », le Dr Bruno Halioua explique que la pratique médicale de l'Egypte ancienne se rapproche de celle qui existait en France au XIXe siècle, avec trois ordres de représentants du corps médical. Au XIXe siècle coexistaient le médecin, l'officier de santé et le rebouteux. Dans l'Egypte pharaonique, on faisait appel au médecin laïque (sounou), au prêtre guérisseur dit de Sekhmet ou au conjurateur dit de Selket ou de Selkis (magicien à part entière).
Le médecin travaillait « d'après les livres » (selon les études de Gaston Maspero) pour lutter contre les forces invisibles (voir encadré).
On peut trouver des équivalences entre nos spécialistes et les praticiens de l'Egypte antique. On a pu identifier sur les papyrus un « homme du cautère » (que l'on peut apparenter à un chirurgien), un dentiste, un « médecin du ventre », un spécialiste des maladies des yeux. Le titre curieux de « berger de l'anus » semble avoir été donné à tout praticien apte à administrer les médicaments par voie rectale, ce qui était, selon Hérodote (484-420 av. J.-C.), un mode d'administration fréquent. Le titre étrange de « médecin des maladies incertaines » allait aux praticiens auxquels on s'adressait devant un diagnostic ou un traitement difficile. Hérodote décrit : « Chaque médecin soigne une maladie, non plusieurs. Les uns sont médecins pour les yeux, d'autres pour la tête, pour les dents, pour la région abdominale, pour la gynécologie ou pour les maladies de localisation incertaine. »
Remèdes secrets
Qu'en est-il du secret médical ? « On ne sait pas si le médecin avait l'autorisation de dévoiler les maladies de ses patients à une tierce personne. Leurs remèdes en revanche devaient rester secrets », dit Bruno Halioua. Les connaissances médicales étaient jalousement gardées par le médecin, qui transmettait son savoir à sa descendance. C'est ainsi que des dynasties médicales ont été constituées. Médecins et prêtres recevaient leur savoir dans les Maisons de vie, lieux de transmission des savoirs.
Les médecins bénéficiaient d'une certaine considération sociale. Ils appartenaient à la classe moyenne, celle des prêtres, des scribes et des artisans. Ils percevaient une rémunération sous la forme de nourriture (pain, bière) ou de vêtements (la monnaie n'est apparue que sous la XXVIe dynastie).
Une odeur de viande rôtie
L'examen d'un malade n'était pas très différent de celui réalisé de nos jours. On commençait par l'interrogatoire, suivi d'une inspection du visage, des urines, des excréments, de l'expectoration. Le praticien se servait de son odorat (odeur de « viande rôtie » d'une affection féminine) et de son toucher (fièvre, tumeurs, blessures). Les interprètes ne sont pas tous d'accord sur la connaissance qu'ils avaient de la palpation du pouls : certains pensent qu'il faisait l'objet d'une étude qualitative et semi-quantitative.
Les médecins s'intéressaient avant tout aux symptômes, notamment la toux (seul symptôme des maladies respiratoires répertorié) et la fièvre. Ils ne semblent pas les avoir réunis en syndromes.
L'importance du psychisme
Une fois l'examen clinique terminé, les médecins traitaient les malades indifféremment par la magie et/ou la médecine, utilisées séparément ou en association. Les témoignages montrent qu'une action sur le psychisme est recherchée, ce qui fait dire à B. Halioua : « En somme, quatre mille ans avant Freud, les médecins égyptiens avaient compris l'importance du psychisme dans les troubles médicaux. »
C'est ainsi que les prêtres guérisseurs provoquent des songes thérapeutiques au cours d'une ou de plusieurs nuits que le malade passait dans un sanatorium. On considérait que le malade, pendant son sommeil, avait la possibilité d'entrer en contact avec les dieux pour leur demander sa guérison.
Le médecin énonçait son pronostic, selon qu'il pouvait ou non traiter la maladie dont souffrait son patient. Les témoignages indiquent en effet qu'un certain nombre de pathologies étaient connues. Certaines cardiopathies ont été décrites avec précision. La toux était le seul symptôme respiratoire répertorié. Les pathologies digestives et urinaires sont fréquemment évoquées sur les papyrus, tout comme les affections des yeux et de la peau. La bilharziose était déjà identifiée. On trouve également des témoignages des ravages de la peste, de la variole et de la lèpre. Le tétanos et ses différents stades sont bien notés. Les Egyptiens s'intéressaient beaucoup aux maladies gynécologiques et à l'obstétrique et différentes techniques d'accouchement sont décrites.
Pharmacopée et sécurité
Quels médicaments ? Selon Naguib Riad, le terme pharmacopée serait un héritage de l'égyptien, provenant de « Ph-ar-maki », ce qui signifiait « qui provoque la sécurité ». En complément des incantations et des récitations des formules magiques, la pharmacopée était riche. Un certain nombre de produits qui entrent dans la composition des préparations nous demeurent obscurs, comme « l'il du ciel », « l'onguent coûteux » ou « la queue de rat ».
D'autres sont plus courants. Les principes actifs étaient de trois types : minéral, végétal et animal.
L'albâtre et l'ocre jaune entraient dans la composition d'un onguent pour traiter le trachome et la pelade. La galène (sulfure de plomb) et le chrysocolle (sulfate de cuivre) entraient dans des recettes ophtalmologiques.
Les formules types font largement usage de quelques ingrédients courants, comme la levure, le miel, certaines racines et feuilles (acacia) ou l'eau du Nil, ajoutés à des ingrédients plus difficiles à trouver, tels que les dents de buf pilées (animal rare), des curs d'oiseau, de la viande de varan (du Nil) ou des excréments (crottes de mouche) et dont la valeur tient à la rareté. Les mélanges n'acquièrent leur pouvoir qu'associés aux formules magiques.
Références : Bruno Halioua, « la Médecine au temps des pharaons » (éditions Liana Levi), les publications de Thierry Bardinet : « les Papyrus médicaux de l'Egypte pharaonique », Fayard, 1995 (collection « Penser la médecine ») et un article dans « Pour la science », n° 226, août 1996, pp.60-66.
La conception d'un enfant
La femme partage son rôle de mère avec le père, bien sûr, mais aussi avec le dieu Khnoum, qui collabore activement à la procréation. « Au cours de la vie embryonnaire, le souffle dynamique du dieu se mêle au sang de la mère, véritable vecteur de vie, pour lier la semence que l'on croyait extraite de l'os paternel et constituer le squelette de l'enfant. » La mère se charge de la vie non osseuse. « Dans son utérus, que les Egyptiens décrivaient comme un organe errant et sans attache, les chairs se déposent sur le squelette en formation placé par le père ; on pensait que dans la composition de ce substrat entrait le lait maternel, lui-même produit par la liquéfaction des tissus féminins au cours de la grossesse. »
Extrait du livre de Bruno Halioua.
La maladie due à une intervention divine
Les Egyptiens anciens concevaient la maladie comme l'intervention d'une force extérieure, invisible et maléfique, ou un souffle morbide. Une divinité hostile ou un démon était en cause. Cette représentation a été mise au jour par la traduction contemporaine des papyrus réalisée par Thierry Bardinet. Au médecin revient de faire sortir du corps le souffle morbide ou de le transformer en énergie vitale. Ces notions s'articulent autour d'une conception complexe de l'être humain. L'homme était vu comme réunissant huit composantes étroitement liées : quatre sur le plan matériel (le corps, le nom, le cur et l'ombre) et quatre autres sur le plan imaginaire. La mort dissociait ces éléments. Cela permet de comprendre l'utilisation simultanée des formules magiques et des médicaments.
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