« La France est le dernier refuge du socialisme », a déclaré Jacques Chirac à Marseille. Propos démagogique de campagne ? Pas du tout. Le président, sur ce point, a raison : la majorité actuelle, noyautée par les communistes et par les Verts, se raccroche à une idéologie qui a fait son temps.
L'ancien trotskiste Lionel Jospin, « fier de compter des communistes dans son gouvernement », n'a d'ailleurs pas lui-même renoncé à cette idéologie, même s'il nous dit par ailleurs que son programme est seulement « d'inspiration socialiste ».
Ce n'est pas une tare. Il n'existe en France aucun danger de dérive totalitaire. Le socialisme du PS serait même plutôt laxiste, comme on le voit à propos de l'insécurité ou dans son refus à stigmatiser les violences antijuives, pourtant largement documentées par un rapport récent établi par SOS-Racisme et l'Union des des étudiants juifs de France. Le débat qui oppose aujourd'hui la gauche et la droite ne porte pas sur les valeurs républicaines, qui réunissent un consensus presque unanime. Il concerne les choix économiques et sociaux.
Le bout du parcours
Nous en sommes à un point de l'histoire économique où même la social-démocratie est arrivée au bout de son parcours. Dans son ardeur à mettre en uvre de multiples mesures sociales, le gouvernement de M. Jospin a pris les risques classiques d'un étouffement du dynamisme industriel et commercial par une fiscalité trop élevée. En cinq ans de législature, la pression fiscale se situe au taux excessif de 45 %. Et si le déficit des budgets publics a été ramené à 1,5 %, il est déjà admis que le retour de ces budgets à l'équilibre n'aura pas lieu avant 2005, alors qu'il devait se produire en 2002, puis en 2004, à cause du ralentissement de la croissance en 2001.
La baisse des impôts est en fait inscrite dans tous les programmes, y compris celui de Lionel Jospin. Jacques Chirac a fait un effet d'annonce en affirmant que, s'il était élu, il baisserait les impôts de 33 % en cinq ans. Comme l'explique fort bien Raymond Barre, il ne suffit pas de le faire, il faut aussi des mesures d'accompagnement, car on ne peut réduire les impôts que si on diminue simultanément les dépenses publiques.
Or il est indéniable que les besoins de financement des programmes nationaux, la santé, les retraites, la sécurité, exigent une hausse des dépenses. Comment résoudre la quadrature du cercle ? En réformant l'Etat, en reconnaissant publiquement qu'un pays où 25 % des salariés sont des fonctionnaires réclame au secteur privé un effort trop important ; au moment où des dizaines de milliers de fonctionnaires vont partir à la retraite, l'occasion de procéder à cette réforme est inespérée.
Réorienter les ressources
Il s'agit d'orienter les ressources budgétaires vers l'hôpital, vers les dépenses de santé à la charge de la communauté nationale (qui n'ont toujours pas été définies clairement) et vers les différents services d'ordre. Cela implique d'éliminer des milliers d'emplois dans la fonction publique et dans les collectivités locales.
Le gouvernement a fait l'inverse. Au nom de la lutte contre le chômage, il a créé des emplois publics peu ou non productifs ; il a instauré les 35 heures, sans en assumer les conséquences à l'hôpital, dont les personnels sont littéralement écrasés par la réduction du temps de travail ; il a accru les charges des entreprises de grande taille en les contraignant à embaucher des personnels pour résorber le déficit créé par la RTT et ses propres charges en apportant une aide financière aux petites entreprises pour qu'elles puissent s'adapter aux 35 heures sans disparaître.
Des inégalités
En France, on dépense chaque année 150 milliards pour l'aide à l'emploi, qui est accordée sans discrimination, y compris aux entreprises qui de toute façon auraient embauché. On ponctionne le budget de la protection sociale pour financer la RTT, alors que ce budget n'a pu revenir à l'équilibre qu'après cinq années de croissance et qu'il retournera au déficit si la croissance ne s'accélère pas dans les mois qui viennent, comme tout le monde l'espère.
Les 35 heures ont créé des inégalités et en ont souligné d'autres : dans le secteur hospitalier, chez les routiers, dans la restauration, l'application des 35 heures est impossible : ce sont des métiers où les salariés travaillent parfois cinquante heures ou plus. On dit à ces personnes que si elles travaillent quatre heures de moins par semaine, c'est déjà un acquis social.
Le gouvernement de M. Jospin a fait en sorte et fera en sorte que les impôts ne diminuent que pour les foyers les moins avantagés. Ce souci de justice sociale n'est que superficiel. Si la pression fiscale globale ne diminue pas, l'emploi continuera de se raréfier. Depuis vingt-cinq ans, il y a deux classes en France : ceux qui travaillent et ont accès à toutes les prestations sociales et les chômeurs qui n'ont droit qu'à la sollicitude de l'Etat. La vraie justice sociale, c'est un travail pour tous et des salaires décents. Or nous comptons encore deux millions et demi de chômeurs et, à cause des charges sociales et de la RTT, le niveau des salaires comparé à celui des autres pays européens est bas, ce qui nuit à la consommation des ménages et donc à la dynamique de l'économie.
M. Jospin, s'il est élu président, risque, pour financer ses dépenses, de taxer un peu plus les revenus du capital. C'est effectivement une bonne logique socialiste, exposée avec clarté par la gauche de la gauche et par le chantre socialiste de l'économie, Thomas Piketty. Mais une taxation élevée des revenus du « capital », c'est-à-dire de l'épargne, et le plus souvent celle des salariés, constitue en soi une injustice dans la mesure où on ne peut épargner que si, d'abord, on a payé ses impôts. Il s'agit donc d'un remède contre l'épargne, pourtant indispensable au financement des entreprises : sans épargne, pas de prêts immobiliers, pas de prêts aux nouvelles sociétés (qui embauchent), pas de prêts au développement des entreprises existantes. Sans épargne, pas de nouveaux emplois. Le message contenu dans la taxation de l'épargne est le suivant : surtout n'économisez pas, dépensez votre argent. Cela alimentera sans doute la consommation mais cela augmentera aussi le chômage.
Les vrais choix de société sont là. Ils sont difficiles à comprendre pour tous ceux, et ils sont nombreux, qui ne connaissent pas la macroéconomie. Il est vrai qu'il faudrait savoir beaucoup de choses avant de voter. Il y a quand même des dysfonctionnements qui crèvent les yeux : que dans ce pays où un quart des salariés sont dans la fonction publique, mais où les hôpitaux et la police manquent cruellement de bras, voilà bien un problème que n'importe qui peut comprendre. Et auquel il faut remédier.
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