CONTRAIREMENT aux données internationales, notamment nord-américaines, la consommation de psychotropes chez l'enfant et l'adolescent reste, en France, limitée. Ce que confirme une importante étude réalisée par la MGEN (Mutuelle générale de l'éducation nationale) auprès de ses adhérents âgés de 0 à 17 ans : 3,3 % d'entre eux sont sous psychotropes (1). Dans 35 % des cas, il s'agit en fait de produits phyto- ou homéopathiques. La grande majorité de ces enfants et adolescents (71 %) ne prennent qu'un seul médicament. Mais 15 % des molécules prescrites n'ont pas d'autorisation de mise sur le marché (AMM) en pédiatrie.
Halte à l'aldultomorphisme.
Si les pédopsychiatres et les pédiatres prescrivent très peu de médicaments réservés à l'adulte, les généralistes et surtout les psychiatres d'adultes sont beaucoup plus enclins à le faire. Ces données illustrent le manque d'essais pédiatriques en psychiatrie comme dans d'autres spécialités. «Les indications des AMM sont souvent obsolètes, elles ne tiennent pas compte des études les plus récentes et ne reflètent pas la pratique», ajoute le Pr Cohen. « Les ”Pediatric Rules”, édictés récemment à la suite de la controverse concernant l'augmentation du risque suicidaire chez les enfants et adolescents sous inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (ISRS), devraient faire évoluer cette situation liée à une attitude trop répandue d' “adultomorphisme' », poursuit-il. L'obligation faite aux laboratoires pharmaceutiques de réaliser des études chez l'enfant et l'adolescent pour toutes nouvelles demandes d'AMM devrait permettre de disposer de plus de données sur la psychopharmacologie en pédiatrie. D'autre part, l'obligation de publication, au minimum sous forme de résumé sur le site du laboratoire, de toutes les études sponsorisées par l'industrie, devrait permettre une diffusion plus rapide et plus transparente des éventuels effets secondaires, qu'ils soient âge- dépendants ou non.
En effet, non seulement les psychotropes ont des pharmacocinétiques différentes, mais aussi les troubles psychiatriques de l'enfant n'ont pas les mêmes caractéristiques ni la même psychopathologie que les pathologies de l'adulte.
L'effet placebo est très important chez l'enfant.
Prenons par exemple le cas des antidépresseurs. «Si l'indication la plus naturelle des antidépresseurs dans l'esprit de beaucoup est la dépression, il s'agit de l'indication la plus discutée chez l'enfant… En effet, d'une part, les alternatives psychothérapiques sont efficaces chez l'enfant et l'adolescent, et, d'autre part, peu d'études ont démontré leur supériorité face au placebo dans les essais randomisés. L'effet placebo est beaucoup plus important chez l'enfant déprimé que chez l'adulte. La dépression de l'enfant et de l'adolescent est plus souvent associée à une perte, à un événement difficile ou à une situation psychosociale complexe. Le suivi psychiatrique, en dehors de toute psychothérapie, instauré dans les essais apporte donc en soi un réconfort à l'enfant, ce qui explique l'importance de cet effet placebo, qui n'est d'ailleurs pas observé avec la même ampleur dans les troubles anxieux ou les troubles obsessionnels compulsifs (2).»
Chez l'enfant, la prescription de psychotropes ne peut être envisagée sans une prise en charge psychothérapeutique, ce qui n'empêche pas son utilité dans un certain nombre de cas, comme l'explique le Pr Cohen. «Psychothérapie et psychotrope peuvent avoir une action complémentaire s'ils sont utilisés de manière appropriée et coordonnée. Le traitement médicamenteux peut permettre l'atténuation d'une symptomatologie et ainsi favoriser la verbalisation de la souffrance psychique et autoriser un abord psychothérapeutique.»
Qu'en est-il de l'augmentation du risque de passage à l'acte suicidaire sous ISRS ? Les métaanalyses l'ont confirmé, mais cette augmentation reste mesurée, puisqu'il est de 2,4 à 7,7 % suivant les molécules sous traitement actif, contre 0,6 à 3,6 % sous placebo, précise le Pr Cohen, qui rappelle en outre que «le risque de passage à l'acte est le plus élevé avant toute prise en charge, qu'il diminue, mais reste élevé le premier mois de traitement et que cet effet est plus net chez l'adolescent que chez l'adulte».
L'exception de la rispéridone.
En ce qui concerne les antipsychotiques, le choix de la molécule reste peu codifié. À noter néanmoins une exception notable : la rispéridone, qui a fait l'objet de nombreuses études contrôlées randomisées en pédiatrie dans les troubles du comportement associés au retard mental et dans les troubles envahissants du développement ayant conduit à une AMM dans cette indication. Cette molécule est de ce fait devenu l'antipsychotique atypique de première intention chez l'enfant. Enfin, souligne le Pr Cohen, les effets secondaires des antipsychotiques sont particulièrement fréquents chez l'enfant, en particulier la prise de poids et le risque métabolique. Une étude réalisée par Wood et coll. a montré que la prise de poids était inversement proportionnelle à l'âge.
D'après un entretien avec le Pr David Cohen, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, co-auteur de l'ouvrage à paraître « Enfance et psychopathologie », 8e édition, Masson.
(1) Sevilla-Dedieu C et coll. « Psychotropic medication use in children and adolescents : a study from France ». Journal of Child and Adolescent Psychopharmacology 2008;18:281-290 (2) Cohen D et coll. « Are child and adolescent responses to placebo higher in major depression than in anxiety ? A systematic review of placebo-controlled trials » PloS One 2008;3:e26323.
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