Problème de plus en plus prégnant en anesthésie–réanimation, l'obésité (indice de masse corporelle > 30 kg/m2) est reconnue comme un « facteur de risque patient » de maladie thromboembolique veineuse péri-opératoire. Chez les patients obèses, si une thromboprophylaxie systématique mécanique et médicamenteuse est recommandée, il n'y a pas encore de consensus sur ses modalités optimales.
EN CHIRURGIE bariatrique, «aucune donnée n'est disponible sur le risque thromboembolique en l'absence de prophylaxie », signale le Pr Charles-Marc Samama (Hôtel-Dieu, Paris). Le risque pourrait être important, comme le suggèrent les données des séries avec prophylaxie montrant que l'incidence des événements thromboemboliques cliniques est supérieure à 2 %, avec 1,2 % d'embolies pulmonaires (EP) (1). Le risque de maladie thromboembolique veineuse (MTEV) en cas d'obésité a également été évalué sur près de 15 000 patients du registre américain de chirurgie bariatrique (2). Dans cette population, l'incidence cumulée à 30 jours est de 0,11 % pour les EP et de 0,21 % pour la thrombose veineuse profonde.
La Société nationale américaine de chirurgie bariatrique considère que les patients ayant une obésité morbide sont à haut risque de MTEV périopératoire (3). D'après d'autres équipes, la plupart des événements thromboemboliques surviennent après la sortie du patient, et les facteurs de risque de MTEV sont l'âge, un antécédent de MTEV et les fuites anastomotiques.
Contention et héparine.
La contention élastique a une certaine efficacité, mais elle n'a jamais été testée chez l'obèse. Elle est néanmoins recommandée et réalisée à l'aide de bas-jarret. Aux États-Unis, la compression pneumatique intermittente est largement utilisée en peropératoire. En France, elle arrive dans les centres qui pratiquent des by-pass.
Dans une étude prospective concernant 3 861 interventions de chirurgie bariatrique réalisées en 1980 et 2004, l'introduction de l'héparine n'a pas eu d'impact significatif sur le risque d'EP (4). Mais il s'agit d'une étude monocentrique. Aucune conclusion définitive ne peut également être tirée des quelques études comparant l'efficacité de différentes doses d'héparine dans ce type de chirurgie, en particulier de la seule étude randomisée qui a porté sur seulement 60 patients et avec une seule injection d'héparine de bas poids moléculaire (HBPM) (5). Une autre petite série (n = 19) a mis en évidence une corrélation négative entre l'IMC et l'activité anti-Xa (6). Mais aucune corrélation entre l'efficacité et cette activité n'a été établie. Dans le domaine des nouveaux antithrombotiques, le fondaparinux n'a pas été étudié en chirurgie bariatrique. Une métaanalyse de son utilisation en chirurgie orthopédique majeure (7) suggère cependant qu'il pourrait avoir un intérêt chez les patients obèses.
Les recommandations actuelles.
Pour la Société française d'anesthésie et de réanimation, dans la chirurgie bariatrique, la thromboprophylaxie doit être réalisée par HBPM à dose élevée associée à une contention élastique. Les recommandations 2004 de l'ACCP (American College of Chest Physicians) définissent la dose d'HBPM en fonction du poids et stipulent, d'une part, qu'elle doit être augmentée chez les patients obèses et, d'autre part, qu'il est raisonnable de doser l'activité anti-Xa chez ceux dont le poids dépasse 150 kg ou qui ont un IMC > 50 (8).
Ces recommandations n'ont pas été reproduites dans la mise à jour 2008 (9) : les experts de l'ACCP expliquent qu'il faut faire une prophylaxie de routine avec une HBPM, sans préciser laquelle et à quelle dose (recommandation de grade 1C), et qu'une dose plus élevée d'HBPM ou d'héparine calcique sous-cutanée peut être utilisée (grade 2C).
Dans la majorité des études, la prophylaxie est débutée en préopératoire, mais rien ne permet de recommander cette attitude plutôt qu'un début postopératoire. On ne dispose pas non plus de données consensuelles sur la durée du traitement : de 4 à 10 jours aux États-Unis ; aucune recommandation en France. Finalement, constate le Pr Samama, « la prophylaxie optimale, la dose, l'initiation et la durée du traitement en chirurgie bariatrique sont inconnues ».
En pratique, la littérature est peu informative, mais la situation pourrait changer au vu du nombre important d'interventions de chirurgie bariatrique aux États-Unis (200 000 en 2007). Le risque élevé de MTEV justifie une prophylaxie systématique mécanique et médicamenteuse dont la durée reste toutefois à définir. On peut probablement proposer plutôt deux injections d'HBPM sous-cutanée quotidiennes, mais avec, là encore, nécessité d'un consensus sur la dose.
D'après la communication du Pr Charles-Marc Samama, anesthésie–réanimation, Hôtel-Dieu, Paris.
(1) Steib et al. Ann Fr Anesth Reanim 2005; 24:890-901.
(2) Mason et al. Obes Surg 1997;7:189-97.
(3) Wu et al. Obes Surg 2000;10:7-13.
(4) Carmody et al. J Am Coll Surg 2006;203:831-7.
(5) Kalfarentzos et al. Obes Surg 2001;11:670-6.
(6) Frederiksen et al. Br J Surg 2003;90:547-8.
(7) Turpie et al. Arch Intern Med 2002;162:1833-40.
(8) Hirsch et al. Chest 2004;126:188S-203S.
(9) Geerts et al. Chest 2008;133:381S-453S.
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