LEITMOTIV des congrès médicaux qui y sont consacrés et des cours d’économie médicale : la progression des dépenses de santé, déjà forte aujourd’hui, devrait s’accentuer au cours des prochaines décennies. C’est ce qu’affirme un récent rapport de l’Organisation de coopération et de développement économique (Ocde)* consacré aux dépenses publiques de santé (remboursées par la Sécurité sociale) et aux soins de longue durée dans les pays membres de cette organisation.
Selon ce rapport, uniquement rédigé en anglais (ce que l’on peut regretter), «si les tendances actuelles se poursuivent, les dépenses publiques de santé et de soins de longue durée vont doubler dans les pays de l’Ocde d’ici à 2050 pour atteindre en moyenne 13% du produit intérieur brut (c’est-à-dire la richesse nationale) contre 6,7% aujourd’hui». Même si les gouvernements des différents pays concernés, poursuit le rapport, parvenaient à contenir la hausse des coûts, ces dépenses atteindraient 10 % du PIB.
En France, où, en 2005, les dépenses publiques de santé représentaient 8,1 % du PIB, la croissance des mêmes dépenses devrait être forte d’ici à 2050. Elles pourraient alors représenter 13,4 % du PIB si les gouvernements ne prennent, d’ici là, aucune nouvelle mesure pour limiter la hausse des coûts, contre 10,8 % dans le cas inverse. Ce qui fait malgré tout une belle progression. En clair, la part des dépenses publiques de santé en France se situerait au-dessus de la moyenne des pays de l’Ocde.
Cette étude ne concerne que les dépenses prises en charge par les système de protection sociale, qui sont financées par la collectivité, et non les dépenses de santé totales, dont une part reste à la charge des patients ; mais il est évident que les dépenses remboursées sont prépondérantes.
L’impact limité du vieillissement.
Reste à cerner les raisons de cette forte croissance au cours des décennies à venir.
Le vieillissement de la population doit être pris en compte ; mais son impact ne doit pas être surévalué, estime le rapport de l’Ocde, qui met surtout l’accent sur «le progrès des technologies médicales et le développement des services de santé».
Ainsi, écrivent les auteurs de l’étude, «même lorsqu’une nouvelle technologie réduit le coût d’un traitement, l’augmentation de la demande pour ce traitement peut faire croître la dépense publique». Ce sont ces facteurs, qui ne sont pas spécifiquement liés au vieillissement de la population, qui exerceront à long terme le plus de pression sur les dépenses de santé. On ne manquera pas de noter, dans ce raisonnement, la part essentielle faite à la demande de soins, qui peut d’ailleurs provenir aussi bien des patients que des soignants.
Cette relative exonération de la responsabilité du vieillissement de la population dans la forte croissance des dépenses est confirmée par l’économiste Philippe Ulmann (lire ci-dessous), qui affirme que «c’est l’innovation qui constitue le principal facteur de l’évolution des dépenses», alors que l’effet vieillissement aurait «fait augmenter cette dépense de 4% seulement en France entre 1970 et 1990, soit moins de 10% de sa variation totale», à savoir l’ensemble de sa croissance. En résumé, l’allongement de la durée de vie et le vieillissement de la population ne seraient pas seulement dus aux progrès médicaux, aux nouvelles technologies, aux nouveaux médicaments mais aussi à une politique de prévention et à une meilleure qualité de vie. Rassurant.
La percée des biotechnologies.
L’innovation serait donc le premier poste responsable de la forte croissance des dépenses. D’abord parce qu’elle a permis des avancées médicales, ce qui en matière de santé publique est quand même l’essentiel, mais aussi parce que les matériels ou les médicaments innovants mis sur le marché n’ont pas toujours remplacé des techniques ou des matériels existants, mais s’y sont ajoutés, ce qui accroît d’autant les dépenses de santé.
Pour autant, on ne saurait être péremptoire : sans doute faut-il mettre en avant le fait que ces nouvelles technologies ont permis dans de nombreux cas de mettre en évidence un mal qui a pu alors être rapidement diagnostiqué et traité. Sans ces innovations, il serait apparu beaucoup plus tard, ce qui aurait nécessité une intervention chirurgicale délicate suivie d’une hospitalisation peut-être longue et coûteuse. «La découverte prématurée de polypes et leur ablation est un progrès médical indéniable», expliquait récemment un gastro-entérologue. L’économiste pourrait partager ce sentiment.
S’agissant de la croissance des dépenses, le médicament est toujours en ligne de mire. Les innovations coûtent cher et les spécialités issues des biotechnologies ont des prix qui font frémir les ministres de la Santé chargés de la Sécurité sociale et leurs homologues des finances qui surveillent de très près les lignes dépenses et recettes. D’autant que ce phénomène risque de s’accélérer avec les médicaments encore en recherche et en développement et qui vont être commercialisés dans quelques années. Les biomédicaments vont prendre une place majeure sur le marché dans les vingt prochaines années et leurs prix n’auront pas grand-chose à voir avec ceux des médicaments traditionnels. Selon un rapport de la société d’études Ernst & Young, dévoilé il y a quelques jours par le journal « les Echos », le secteur des biotechnologies a réalisé en 2005 «un chiffre d’affaires en hausse de 18% après avoir réalisé plus 17% en 2004». Au rythme actuel, selon « les Echos », le chiffre d’affaires du secteur des biotechnologies augmente de plus de 10 milliards de dollars par an (8,3 milliards d’euros) et, depuis 2003, les firmes commercialisent chaque année plus de médicaments que les plus importantes sociétés pharmaceutiques traditionnelles. D’où l’inquiétude, compréhensible, des gouvernements.
Mais là encore, il convient de rester prudent. Ne serait-ce qu’en prenant en compte l’apport de ces firmes dans l’économie nationale et mondiale dans le domaine de l’emploi, du commerce extérieur et du développement ; ensuite, en essayant de mesurer, comme le demandent en particulier les industriels du secteur, l’impact des nouveaux médicaments innovants sur les économies que permettront les hospitalisations ou les arrêts de travail évités.
Bien qu’il ne s’agisse pas en l’occurrence de biomédicaments, la polémique sur les prescriptions systématiques ou non de statines, notamment à partir d’un certain âge, ce qui permettrait selon ses partisans d’éviter bien des complications cardiaques et par là même des hospitalisations, illustre parfaitement ce débat sur le médicament et ses économies éventuelles.
Dépenses et espérance de vie.
Le débat sur la croissance des dépenses de santé au cours des vingt ou trente prochaines années doit prendre en compte un autre phénomène peu mis en évidence : l’abaissement progressif mais continu des normes ou des seuils au-delà desquels la maladie est déclarée. Les études des experts médicaux, des sociétés savantes vont toutes dans ce sens. Cela concerne par exemple des affections aussi fréquentes que l’HTA, les hyperlipidémies, ou le diabète, qui nécessitent des traitements lourds, longs et coûteux la plupart du temps, qui vont donc commencer de plus en plus tôt et s’appliquer à de plus en plus de patients. Avec les dépenses qui vont accompagner ce phénomène.
Mais beaucoup d’autres maladies sont et seront concernées. «Bientôt, expliquent certains, nous serons tous malades.» Ce n’est pas tout à fait une boutade.
Reste, au terme de cette analyse, LA QUESTION : existe-t-il un lien entre la croissance des dépenses de santé et l’espérance de vie ? On a vu que le vieillissement de la population n’était sans doute pas la cause essentielle de cette forte progression. D’où le doute qui nous assaille. Et l’Ocde, à cet égard, n’est guère rassurante : les Japonais, qui ont la plus longue espérance de vie des pays membres de l’Ocde, consacrent aujourd’hui 8 % de leur PIB à l’ensemble de leurs dépenses de santé, alors que les Américains, qui ont les dépenses de santé les plus importantes, «ne sont que 22espour l’espérance de vie, dit l’Ocde, bien que les Américains dépassent en moyenne 77ans». Un argument qui permet aux responsables politiques de justifier leurs politiques de maîtrise des dépenses, mais qui n’est pas pour autant réjouissant.
* « Projecting Oecd Health and Long-Term Care Expenditures : What are the Main Drivers ? » (Projection des dépenses de santé et des soins de longue durée dans les pays de l’Ocde : les principaux facteurs), www.ocde.org.
Projections des dépenses publiques totales de santé et de soins de longue durée (En pourcentage du PIB) | |||
2005 | 2050 | ||
SCENARIO PRESSION SUR LES COUTS (1) | SCENARIO CONTENTION DES COUTS (2) | ||
Australie | 6,5 | 12,6 | 9,9 |
Autriche | 5,1 | 10,9 | 8,2 |
Belgique | 7,2 | 12,4 | 9,8 |
Canada | 7,3 | 13,5 | 10,8 |
République tchèque | 7,4 | 13,2 | 10,7 |
Danemark | 7,9 | 12,9 | 10,3 |
Finlande | 6,2 | 12,2 | 9,3 |
France | 8,1 | 13,4 | 10,8 |
Allemagne | 8,8 | 14,3 | 11,8 |
Grèce | 5,0 | 11,6 | 8,9 |
Hongrie | 7,0 | 12,6 | 9,5 |
Islande | 9,6 | 15,2 | 12,3 |
Irlande | 6,7 | 14,5 | 11,3 |
Italie | 6,6 | 13,2 | 10,7 |
Japon | 6,9 | 13,4 | 10,9 |
Corée | 3,3 | 11,9 | 9,1 |
Luxembourg | 6,8 | 13,7 | 10,6 |
Mexique | 3,1 | 11,7 | 8,7 |
Pays-Bas | 6,8 | 12,5 | 9,9 |
Nouvelle-Zélande | 6,4 | 12,6 | 10 |
Norvège | 9,9 | 15 | 12,4 |
Pologne | 4,9 | 12,2 | 8,5 |
Portugal | 6,9 | 13,1 | 10,4 |
République slovaque | 5,4 | 12,3 | 9,4 |
Espagne | 5,6 | 12,1 | 9,6 |
Suède | 8,6 | 12,9 | 10,1 |
Suisse | 7,4 | 12,3 | 9,7 |
Turquie | 6,0 | 11,7 | 8,9 |
Royaume-Uni | 7,2 | 12,7 | 10 |
États-Unis | 7,2 | 12,4 | 9,7 |
Moyenne pour lOcde | 6,7 | 12,8 | 10,1 |
Source : calculs du secrétariat de lOcde.(1) Ce scénario suppose que la dépense continue de croître plus que le revenu.(2) Ce scénario envisage lhypothèse où les gouvernements décident de mesurespour limiter la croissance des dépenses. |
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