LES FACTEURS DE LA CRISE sont identifiés : les quotidiens parisiens se portent mal, mais la presse magazine s'est développée et les newsmagazines ciblés sur une activité ou un loisir marchent très bien. Il demeure que les guides hôteliers ne remplacent pas la vraie littérature : les gens ne lisent pas moins, ils ne lisent plus bien.
Bien ? Qu'est-ce à dire ? Y aurait-il une supériorité des quotidiens parisiens sur toute autre forme de presse ? Non, mais la tradition de lecture politique et sociale des journaux se perd. Un exemple : la mode - et le succès - des journaux gratuits est désespérante, pas parce qu'ils ne sont pas payants mais parce qu'ils sont conçus pour être lus en quelques minutes. C'est une concoction de dépêches d'agences à peine réécrites, avec parfois le commentaire d'un journaliste connu et, hop, c'est ficelé. Ce sont des non-journaux qui font de la non-information pour des non-lecteurs.
UN JOURNAL NE DOIT ÊTRE NI CHAUD, NI FROID, MAIS GLACÉ ET BRÛLANT
Le temps de lire.
Or la presse d'opinion ou engagée aurait dû logiquement se développer ; et si le débat d'idées ne tournait pas à la tentative d'extermination mutuelle dans ce pays, les gens, comme autrefois, achèteraient plusieurs journaux du matin pour se forger leur propre idée en explorant des pensées opposées. Bien entendu, le lectorat n'a plus le temps pour ça, et il n'y a pas de meilleur lecteur de journal que le retraité. Mais comment, si on a une conscience civique, se contenter de la radio et de la télévision ou encore de journaux payants ?
Pour une part, un certain ethnocentrisme du style France profonde a éloigné les lecteurs des événements qui se déroulent à l'étranger ; pour une autre part, le prix de revient des journaux est très élevé : ils sont horriblement coûteux à faire, de sorte qu'ils deviennent invendables ; il y a aussi la concurrence des médias plus modernes, comme la télévision ou la radio ; enfin, les quotidiens, nec plus ultra de ce secteur, ne parviennent pas à équilibrer leurs frais généraux et leurs recettes.
C'est ainsi que de nombreux titres, dont la contribution à l'information et à la beauté de notre profession n'a pas été négligeable, ont disparu. Et que les autres se défendent sur une ligne de crète où il faut réduire les effectifs, trouver des investisseurs (c'est-à-dire vendre son âme), choisir entre la qualité et la survie. « Le Figaro », racheté par Serge Dassault, et « le Monde » ont changé leur présentation et leur maquette, sans avoir encore donné un coup d'arrêt à la déperdition de lecteurs. « France soir » est à la dérive. « L'Humanité » respire à peine. Bref, on peut imaginer un avenir proche sans quotidiens.
Journal pas neutre.
On ne doit pas nier que les lecteurs, c'est-à-dire l'opinion publique, se méfient des journalistes et de la pensée qu'ils véhiculent. Certaines rédactions ont des lignes de conduite partisanes, assez engagées parfois pour que l'abonné se désabonne. Le seul moyen de combattre cette dérive, c'est de laisser des opinions très différentes s'exprimer dans le même journal et proposer l'éditorial de la « maison » seulement comme un élément de réflexion parmi d'autres et non comme une sommation. Or les quotidiens parisiens sont classés à droite ou à gauche, et la prétention du « Monde » à servir de référence est constamment contrebattue par ses biais éditoriaux : la réforme de la rédaction qu'accompagne une refonte de la maquette n'a pas encore produit un journal neutre.
La neutralité n'est d'ailleurs pas la solution. C'est au contraire le multiengagement qui serait intéressant avec, sur le même sujet, deux points de vue opposés ou encore un seul point de vue qui remet le sujet dans le contexte et relativise les passions qu'il inspire. A un journal « chaud », c'est-à-dire passionné, et à un journal « froid », c'est-à-dire neutre, c'est une sorte d'omelette norvégienne qu'il faut préférer : une formule qui réunisse deux bords dans le même journal.
Pour toute personne qui aurait observé l'évolution de la presse quotidienne de Paris depuis plus de trente ans et a donc assisté à la disparition de titres multiples, l'espoir n'est pas vraiment permis. La presse quotidienne telle que nous l'avons connue va sûrement disparaître. S'y substituera une presse orientée par les intérêts de ses propriétaires (pas nécessairement futés) ou une presse gratuite, autrement dit un véhicule publicitaire. En tout cas, voilà un métier qui n'est pas le pire, suscite de belles vocations, expose de grands talents et risque de disparaître, si on veut bien admettre que causer dans le poste n'a pas la nature ardente, et même élégiaque, de l'écriture.
D'ailleurs, les bons lecteurs, ces derniers des Mohicans, ont beaucoup de talent eux aussi quand ils établissent un lien anonyme mais puissant avec le chroniqueur de leur choix.
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