MAINSTREAM, entertainment, marketing, on a le droit de s’irriter de tant de vocables anglophones, même si beaucoup sont passés dans le langage français courant. Ne fallait-il pas traduire le mot-titre, « Mainstream », et par quel mot ? L’auteur propose l’incommode « qui vise un large public ». On philosophera tout de même sur la pauvreté sémantique du français en ces matières.
Ces matières, c’est un tour du monde des lieux où s’élaborent les stratégies de création et de diffusion des films, disques, émissions de télé et livres dont on veut inonder la planète. C’est aussi l’affolant périple de Frédéric Martel, parti rencontrer les « big boss » d’Hollywood, mais aussi de l’Inde, de la Chine et du Brésil.
Ainsi faisons-nous la rencontre du mythique Jack Valenti. Ce personnage, aujourd’hui décédé, fut longtemps le patron, à Washington, de la MPAA, la Motion Picture Association of America, lobby et bras politique des studios hollywoodiens. Personnage coppolesque, cigare et crinière blanche, Valenti, qui fut d’abord conseiller de Lyndon Johnson, ne révèle rien de très surprenant. Par exemple, il y a un ordre d’invasion du monde par les produits américains, les sorties sont ciblées en fonction des cultures et des fêtes. Dans ce calendrier complexe, la MPAA a mis au point un système pour éviter que deux major companies ne se fassent concurrence.
Au-delà de Valenti, et de son successeur Glickman, l’ouvrage propose une plongée dans l’univers Disney, où les langues sont souvent attachées. Mais, avant tout, c’est autour de la formidable force de frappe des produits US que s’organise le livre. Les produits américains sont faits pour recouvrir la planète, en particulier à cause de leur qualité mainstream. Ni trop vulgaires, ni surtout élitistes.
Mogols.
Mais continuons un peu le tour du monde des grands Mogols des studios. Amit Khanna est doublement un Mogol : il est le P-DG de Reliance Entertainment, la plus puissante multinationale indienne. Il prétend avoir inventé le terme Bollywood. En plus des studios de cinéma, sa compagnie contrôle le téléphone mobile et a investi massivement dans la DreamWorks de Steven Spielberg.
Frédéric Martel nous fait entrer en vrille dans de très subtiles stratégies. Un cinéma indien qui jette l’ancre aux États-Unis pour capturer le vaste public indo-américain. À la clef, une riposte vigoureuse : Warner, Disney, la Fox et Columbia se mettent à produire des films en Inde.
Non moins pittoresque est le prince Al Waleed, qui voudrait être « le Murdoch du Moyen-Orient ». Directeur du groupe Rotana, il produit des films au Caire, en inonde Dubail, Abu Dhabi et le Qatar, pays qui ont beaucoup d’argent et très peu de talents. Prince fastueux d’origine saoudienne, il sait transformer les chanteurs pop en chanteurs islamiques dès que le Ramadan arrive et joue admirablement le double jeu. Dernière corde à son art, une musiquette pop « américanisée en arabe », donc terriblement mainstream, qu’il répand avec profusion au Liban.
Disons-le, on est parfois un peu saoulé par cette avalanche mondiale de firmes, de studios, de « culture » en joint ventures. Mais l’auteur nous a prévenus, il ne philosophe pas sur la qualité culturelle, seuls les tuyaux eux-mêmes l’intéressent. On aurait pourtant aimé savoir où commence et où finit le mainstream en tant que tel.
Retenons une évidence. Le savoir-faire américain du Nord n’est jamais loin. Lorsque s’affrontent, par culture interposée, deux types de divertissements filmiques, belges, ou Tchéquie contre Slovaquie (!), cinquante pour cent reste au cinéma US.
Frédéric Martel, « Mainstream », Flammarion, 445 p., 22,50 euros.
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