L' EQUIPE française a donc identifié, dans la maladie de Crohn (MC), trois variants du gène de susceptibilité Nod2. Une question se pose maintenant : les manifestations de la maladie, les réponses au traitement et l'évolution sont-elles dépendantes du génotype de la personne atteinte ? Si cela était le cas, on pourrait mieux adapter la stratégie de prise en charge. Pour répondre à cette question, une étude va bientôt commencer chez 1 500 personnes atteintes de MC, chez qui seront collectées des informations cliniques détaillées et sera réalisé un génotypage en parallèle (étude menée dans quatre services de gastro-entérologie, à Paris et à Lille ; le génotypage sera réalisé à l'hôpital Saint-Antoine à Paris). Les résultats devraient apparaître dans deux ans.
« Nous sommes à l'initiative de l'ensemble des travaux qui ont conduit à l'identification du gène Nod2, premier gène de susceptibilité à la maladie de Crohn », précise G. Thomas, « par un travail que nous avons réalisé et publié dans "Nature" en 1996. »
Plusieurs équipes américaines ont ensuite suivi et un consortium international a même été créé.
La stratégie française : clonage positionnel
« Mais notre stratégie a été très différente », fait observer le chercheur. Les Français ont poursuivi une stratégie dite par clonage positionnel, « sans faire d'hypothèse a priori d'un mécanisme physiopathologique », à l'inverse de celle utilisée par l'autre équipe (dont le travail est publié dans le même numéro de « Nature »), qui a été menée sous la forme de l'étude d'un gène candidat.
Thomas et coll. ont « disséqué » la région IBD1 du chromosome 16 et trouvé finalement le même gène qu'Ogura et coll., le gène Nod2.
Les Français ont ensuite analysé la fonction du gène identifié et « compris qu'elle explique vraisemblablement pour une part la physiopathologie de la maladie de Crohn », poursuit le découvreur. Le gène contrôle une transduction du signal dans la voie NF-kB, connue pour jouer un rôle dans l'inflammation.
Ce n'est qu'en fin de stratégie qu'un mécanisme a été proposé.
Depuis 1996, les biologistes collaborent avec des groupes de cliniciens pour collecter des patients et leurs apparentés. « Nous avons recueilli 4 950 personnes chez qui des prélèvements de sang ont été réalisés », explique le biologiste. C'est ainsi que trois variants du gène ont été identifiés. Dans cette série, 15 % des personnes atteintes d'un Crohn étaient « fortement prédisposées à la maladie » (présentant deux copies du gène altéré qui est récessif).
Risque multiplié par quarante
Dans ce cas, le risque relatif est quarante fois supérieur à celui de quelqu'un de non prédisposé. La pénétrance des variations génétiques est relativement faible, précise le Dr Thomas, car avec un génotype de prédisposition, la probabilité n'est que de 3 à 4 % et le risque relatif par rapport à la population générale est inférieur à 7/10 000.
Quelles applications pratiques découlent de la découverte de ce gène de prédisposition et de ses variants ? « Il n'y a pas aujourd'hui d'application évidente en médecine prédictive », répond G. Thomas. En revanche, pour l'aide au diagnostic, l'étude clinique entreprise pourrait apporter des éléments concrets. De plus, l'identification du gène chez un patient va permettre de poser le diagnostic de MC dans les cas litigieux où il est difficile de faire la distinction entre la MC et la RCH (les Français, comme l'autre équipe, ont montré que le gène est sans effet sur la RCH).
Une application à plus long terme sera de fournir des éléments sur les mécanismes physiopathologiques de la maladie.
La prévalence va doubler dans les cinq ans
Comme l'explique G. Thomas, « la prévalence actuelle dans la population générale est d'environ 1/1 000. Mais elle va probablement doubler dans les cinq ans à venir (on attend environ 120 000 personnes atteintes en 2005) ». Ces prévisions sont liées à un facteur environnemental non identifié et introduit à la fin de la Seconde Guerre mondiale. S'agit-il d'une modification du mode de vie ? D'un nouvel agent pathogène ? Le gène Nod2 est un récepteur intracellulaire pour des constituants bactériens. « On a donc un espoir d'identifier le ligand », prévoit le chercheur. Cela pourrait également donner lieu à une cible pharmacologique pour tenter de développer des médicaments spécifiques.
« Nature », vol. 411, 31 mai 2001.
* Directeur de l'INSERM U 434, directeur scientifique de la fondation Jean-Dausset et professeur de génétique médicale à l'hôpital Saint-Antoine, Paris.
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