C'EST L'INSUFFISANCE des alternatives à la prolongation des carrières qui explique peut-être que les manifestations ont été relativement parsemées, que les grévistes n'étaient nombreux nulle part, que les transports ont, en gros, fonctionné, avec un service minimum qui semble avoir été efficace pour la première fois. Fort heureusement, le gouvernement n'a pas crié victoire au lendemain d'une journée dictée par la morosité et qui a été elle-même morose : il sait fort bien que, s'il campe sur ses positions, ce qu'il faut souhaiter, la crise sociale se poursuivra jusqu'à l'été au moins.
Quels atouts ?
Les syndicats, quant à eux, devraient se poser des questions sur les atouts dont ils disposent. Ils n'ont pas présenté des arguments valables : sauf à augmenter les cotisations retraites ce dont les salariés ne veulent pas entendre parler, ils ne peuvent proposer qu'une forte taxation des entreprises au moment où plus personne ne croit que l'on puisse augmenter leur fardeau. Nombreux sont les journaux qui ont envisagé des « alternatives » à la prolongation des carrières. Cette initiative mérite d'abord un commentaire général : elle démontre que la nostalgie d'un temps de travail en constante régression reste forte, que le travail n'a toujours pas été revalorisé aux yeux des Français, et que, au-delà des métiers pénibles, qui méritent effectivement que le gouvernement les prenne en compte dans sa réforme, «travailler moins pour gagner plus» est le slogan que la plupart des Français voudraient entendre tous les jours.
C'est cette mentalité, qui nous vient assurément de la semaine de 35 heures, que le gouvernement doit combattre. C'est elle qui implore les syndicats de proposer d'autres solutions au financement des retraites. C'est elle qui jette encore les gens dans la rue. Cette bataille est perdue d'avance parce que la logique réformiste du gouvernement ne peut être contestée qu'avec un minimum de mauvaise foi : quand on propose de taxer les stock-options, c'est déjà fait ; d'augmenter les impôts en général, c'est impossible car nous sommes un pays où la part des prélèvements sociaux obligatoires est déjà l'une des plus élevées en Europe. Les actifs, surtout les jeunes, ne veulent pas payer davantage pour les seniors ; les retraités, qui ont déjà payé leur dû, ne veulent pas que l'on réduise des pensions qui, pour la plupart, sont bien insuffisantes.
LES MESURES DITES ALTERNATIVES A L'ALLONGEMENT DES CARRIERES DOIVENT EN REALITE LE COMPLETER>/P>
Et ce n'est qu'un début.
En outre, l'allongement d'un an des carrières ne résoudra rien : il ne suffira pas à assurer le financement des retraites ; il ne peut être qu'un début qui implique que, plus tard, il faudra passer à 62, puis à 63 ans. C'est ce que les syndicats dénoncent en ricanant. Mais dans le reste de l'Europe, l'âge légal de la retraite est de 65 ans. Qu'est-ce qui fait de la France une oasis où l'on pourrait boucler les comptes en travaillant beaucoup moins que les autres, moins pendant la semaine et moins pendant toute la vie ?
Le seul argument valable des syndicats concerne le taux d'emploi des seniors en France, largement inférieur au taux moyen européen. Le gouvernement a montré qu'il serait intraitable avec le MEDEF sur ce point, mais le patronat espère encore jouer sur tous les tableaux, prolonger les carrières par la loi, les réduire dans les faits. En tout cas, la CFDT, et elle est la seule à le dire, estime que si la question des seniors est réglée par une législation adhoc, elle ne s'opposera pas à la retraite à 61 ans. La télévision nous bombarde avec de beaux reportages sur l'emploi des seniors dans des entreprises éclairées, mais la vérité est qu'elles considèrent comme « vieux » des salariés qui n'ont pas 45 ans. France éternelle, où l'on renvoie infailliblement aux budgets de l'État le coût de ces hommes et de ces femmes qu'un système aveugle et cruel fauche en pleine force de l'âge.
Comme l'explique Raphaël Hadas-Lebel, président du Conseil d'orientation des retraites (COR), le régime des retraites de la Sécurité sociale sera équilibré en 2020 si la France retourne au plein emploi, si la productivité est forte et si l'assurance chômage transfère une partie de ses fonds vers la Caisse nationale d'assurance-vieillesse (CNAV). Chacune de ces conditions serait miraculeuse : nous avons encore deux millions de chômeurs, et il faut bien que les ASSEDIC les soutiennent avant de donner des fonds à la CNAV. Il n'y a que dans le domaine de la productivité que nous pouvons tenir le pari. Les « il n'y a qu'à » qui proposent des solutions alternatives n'ont d'ailleurs pas manqué de tenir compte de la décrue du chômage pour demander que l'on attribue au régime des retraites une partie des prélèvements sociaux accordés à l'assurance chômage. On n'est pas loin de faire croire aux gens que la même somme peut servir deux fois. Nous sommes un pays d'autruches.
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