À LA FÉDÉRATION française d'athlétisme, le Dr Philippe Deymié est le premier à passer à l'acte. Médecin des équipes nationales depuis 2005, malgré le soutien officiel des dirigeants de la FFA, il n'a pas résisté aux attaques portées contre lui par voie de presse. Concrètement, un article publié dans « l'Équipe » du 1er juillet, sous le titre « JO - Préparation médicale - Question de confiance », a mis le feu aux poudres. La perchiste Vanessa Boslak, le champion du monde du 100 m haies Ladji Doucouré et le sprinteur Ronald Pognon y multipliaient les critiques contre ses diagnostics. À l'approche des jeux, alors que le moindre problème physique peut entraîner des répercussions irréversibles, avec un stress exacerbé, le Dr Deymié a choisi de déclarer forfait. «Il ne s'agit pas d'une stratégie de fuite, explique-t-il au “Quotidien”, mais, dans un contexte tendu où le secret médical nous interdit de nous défendre, j'ai choisi, non sans courage, de tirer toutes les conséquences de la situation. Rester en fonction dans ces conditions aurait laissé la porte ouverte à de nouvelles critiques, de la part d'autres athlètes. Sans la confiance des sportifs, le médecin d'équipe n'est pas en mesure de faire son travail.C'est tout le staff médical, médecins et kinés réunis, qui risquait d'être compromis dans la polémique. Mon départ préserve ce qui reste de sérénité.»
« Médecins de la performance ? »
À la perte de confiance s'ajoute la menace sur l'indépendance d'exercice. «Cetteindépendance qui nous est expressément garantie dans nos contrats, poursuit le Dr Deymié, est régulièrement mise à mal par les directeurs techniques nationaux.Plutôt que d'être des médecins performants, nous sommes contraints à agir comme des médecins de la performance. C'est évidemment un rôle limite et très ambigu. Alors que notre priorité doit être la sauvegarde de la santé de l'athlète, en lui évitant des contre-performances, les DTN (directeurs techniques nationaux) nous utilisent dans une logique de gagne à tout prix. Au lieu de prescrire un repos après une lésion articulaire, nous sommes par exemple appelés à “infiltrer” le sportif dès le lendemain de l'accident. De même, nous devons contribuer à l'exécution de programmes d'entraînement qui sont en fait des surentraînements médicalement dangereux. Et, en prime, il nous faut veiller à la bonne rédaction des AUT (autorisations à usage thérapeutique), bien sûr toujours dans une optique de performance maximale.»
Pour le médecin des équipes nationales d'athlétisme, «dans de telles conditions, il faut se soumettre ou se démettre. J'ai choisi la deuxième option».
Au CNOSF (Comité national olympique et sportif français), le Dr Maurice Vrillac ne marchande pas son soutien à ce confrère. «Son cas est malheureusement loin d'être unique, constate le directeur de la commission médicale. Les médecins d'équipes sont corvéables 24heures sur 24 et ils n'ont aucun droit à l'erreur, diagnostique ou thérapeutique. Ils doivent avant tout faire gagner les sportifs et non les soigner. Les médecins du sport sont partout traités comme des larbins, jetés comme des Kleenex, remplacés comme des fusibles en cas de mauvais résultats. Et priés de garder le silence quoi qu'il arrive, pour cause de secret médical.»
Le Dr Vrillac évoque encore le cas récent du Dr Jean-Pierre Paclet, auquel, comme au Dr Deymié, il tient à apporter son soutien. Après la déroute de l'équipe de France lors de l'Euro, le médecin des Bleus s'est vu en effet mettre en cause publiquement par deux joueurs, Patrick Vieira, à propos du diagnostic de blessure à la cuisse qui l'a privé de match, et Lilian Thuram, qui a révélé souffrir d'une malformation cardiaque, laquelle aurait été négligée par l'encadrement médical. «En cas d'échec, s'indigne le Dr Vrillac, c'est maintenant le médecin d'équipe qui devient le coupable idéal.»
Appel à Bachelot.
«Les tensions entre les médecins et les entraîneurs ne datent pas d'hier, observe le Dr Denys Barrault, président du Syndicat national des médecins du sport (SNMS) et ancien médecin chef de l'INSEP (Institut national du sport et de l'éducation physique), mais, depuis quelque temps, elles se sont nettement aggravées. Aujourd'hui, après des réunions sans résultats avec les DTN et alors que le projet de création d'un directeur médical national semble tombé aux oubliettes, nous vivons une situation de crise ouverte dans une douzaine de fédérations nationales.»
Le SNMS a décidé d'en appeler à la ministre de la Santé et des Sports, Roselyne Bachelot. Un courrier en forme de cri d'alarme doit lui être adressé cette semaine. «Nous lui expliquons qu'actuellement nous ne sommes plus en mesure d'exercer notre mission au service de la santé des sportifs. Le ministère doit intervenir pour remettre chacun à sa place et dans son rôle.»
Si cet appel, qui se défend de tout corporatisme et se réclame des bonnes pratiques médicales, n'est pas rapidement entendu, d'autres défections pourraient intervenir parmi les staffs médicaux des sélectionnés olympiques, avant le coup d'envoi des Jeux le 8 août.
Changer le statut des médecins ou rénover les jeux
Pour sortir de l'impasse où se débattent aujourd'hui les médecins du sport, le Dr Didier Polin, directeur de l'Institut régional de médecine du sport de Rouen, ne voit que deux solutions : «Ou bien on met à plat le statut des médecins du sport et on décide de le réformer en profondeur, propose le médecin qui, à la FFA (Fédération française d'athlétisme), s'est occupé de Marie-Jo Pérec, d'Eunice Barber et de Christine Arron ; cela peut sembler urgent, quand on considère que la situation actuelle est entachée d'illégalité, avec des praticiens nomades qui doivent exercer hors du département où ils sont inscrits, ne bénéficiant même pas d'une assurance professionnelle quand ils interviennent à l'étranger.»
«Ou bien on décide de rénover l'esprit des jeux, tel que l'avait exprimé Pierre de Coubertin, poursuit-il . On briserait alors cette spirale infernale qui happe le sportif de haut niveau vers le surentraînement et le dopage, en risquant de compromettre avec lui l'encadrement médical. C'est ce que j'appelle l'effet chasse d'eau. Pourquoi ne pas réunir autour d'une table les dirigeants et les sportifs et décider d'en finir avec des compétitions au service des records et des sponsors? Certains proposent d'instaurer des rencontres d'un nouveau type, qui seraient destinées à financer les grandes causes humanitaires. Une autre manière d'aborder la mondialisation, de pratiquer le sport et d'exercer la médecine.»
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