LE QUOTIDIEN - L'association Alternance 2002 vient de présenter les grandes lignes de son programme. Peut-on considérer qu'il s'agit, notamment dans le domaine de la santé, des grands principes que défendra la droite lors des prochaines échéances électorales ?
Dr PIERRE MORANGE - On ne peut anticiper sur la définition du contenu du programme d'Alternance 2002 avant même qu'elle ne soit officiellement constituée. Mais la démarche est claire : il s'agit d'arriver à un corpus de pensée commun à toute la droite française qui ne soit pas forcément réducteur et tienne compte des spécificités de chaque formation politique. J'ai d'ailleurs été chargé, de mon côté, par le RPR, de mettre en place un groupe de réflexion avec l'UDF et DL dont l'objectif est de parvenir à des propositions communes (en matière de santé) au mois de juin.
Il y a cependant deux éléments essentiels qui guideront notre pensée, qui n'est pas encore un programme. D'abord, l'importance que revêt la santé pour chacun d'entre nous qui en fait tout, sauf un sujet théorique, et qui doit être au centre de toute tentative de reconstruction de notre réflexion politique. Ensuite, l'importance du rôle joué par les professionnels de santé dont l'investissement au service des autres n'est pas justement pris en compte et reconnu. Il y a actuellement, en raison de la maîtrise comptable des dépenses (d'assurance-maladie) , une logique de banalisation et de paupérisation du corps médical qui est tout à fait intolérable.
Une erreur>BR>
Cette logique de maîtrise budgétaire des dépenses a cependant été instituée par le plan Juppé. Considérez-vous aujourd'hui qu'il s'agissait d'une erreur ?
La maîtrise comptable dans toute son absurdité technocratique, ce n'est pas le plan Juppé, c'est le plan Jospin. En quatre ans de gouvernement, il aurait pu modifier le dispositif. Or il n'a fait que le rendre plus incohérent. Il a substitué à la logique des reversements collectifs qui devaient rester exceptionnels, celle des lettres clés flottantes qui est tout à fait inadmissible. Néanmoins, je reconnais que la philosophie générale du plan Juppé - une maîtrise comptable assortie de sanctions collectives des professionnels - est une erreur. Je suis d'ailleurs personnellement favorable à ce que l'on répare cette erreur en rendant aux médecins la contribution exceptionnelle qu'on leur a demandée en 1996. Par ailleurs, le système est un échec puisque l'évolution des dépenses dépasse les objectifs fixés quels que soient les rebasages effectués. Et c'est normal. L'augmentation des dépenses est avant tout liée aux progrès médicaux, au vieillissement de la population et à l'aspiration légitime des Français à un mieux-être. Elles suivent donc une évolution supérieure à celle de la richesse nationale. S'imaginer qu'on peut les faire évoluer parallèlement est une absurdité et faire des professionnels de santé les boucs émissaires de cette évolution n'a pas de sens.
Favoriser la prévention
Jacques Chirac disait déjà en 1995 qu'il ne fallait pas limiter l'évolution des dépenses d'assurance-maladie. On a bien vu qu'un tel discours n'était pas politiquement réaliste.
Je parle des dépenses de santé et non des dépenses d'assurance-maladie. La question, ensuite, c'est de savoir quels sont les objectifs médicaux que l'on se fixe et les priorités en matière de dépenses. Pour l'instant, le gouvernement se contente de reconduire chaque année les budgets existants en leur appliquant un coefficient d'augmentation qui ne repose en aucun cas sur des critères sanitaires. C'est de la responsabilité de l'Etat de définir une politique de santé globale et d'arrêter des priorités au sein des dépenses publiques pour la financer. Qu'est-ce qui se passe aujourd'hui ? On met en place les 35 heures, la CMU ou l'APA et on n'assure pas leur financement. Et, comme par hasard, toutes ces réformes auront leur plein effet financier en 2002.
Ce que nous souhaitons, c'est que la Conférence nationale de santé définisse des priorités qui conduisent ensuite à élaborer un panier de soins remboursables qui permette de mettre en uvre ces priorités en favorisant davantage la prévention, domaine où les budgets sont aujourd'hui incroyablement indigents. Il faut, par ailleurs, renforcer les responsabilités des différents acteurs, qu'il s'agisse des patients, des professionnels de santé qui sont prêts à s'engager dans cette démarche ou celle des financeurs.
Etes-vous favorable, dans ce cadre, à une mise en concurrence des financeurs ?
Il serait absurde d'imaginer que la logique européenne ne va pas prévaloir un jour dans ce domaine. Penser que l'on peut conserver un pré carré en matière d'assurance-maladie relève de la politique de l'autruche. L'important, c'est que l'Etat soit garant de l'égalité d'accès à des soins de qualité. Ensuite, que ce soit l'assurance-maladie, la mutualité ou les assureurs qui gèrent peu importe. D'ailleurs, c'est déjà la logique appliquée à la CMU. L'important c'est qu'on ait le meilleur rapport coût-efficacité. Les secteurs mutualiste et assurantiel ont tout à fait une légitimité à gérer une couverture maladie de base. Ce n'est pas choquant. Ce qui est choquant, c'est la sélection du risque.
Comment analysez-vous le malaise social qui se développe dans le secteur hospitalier ?
Il y a deux facteurs de crise dans le monde hospitalier : d'abord, la logique d'opposition entre hôpital public et cliniques privées entretenue par le gouvernement. On assiste actuellement, par idéologie pure, à la mise à mort économique du secteur de l'hospitalisation privée qui est en train d'accuser un énorme retard en matière d'équipement et de politique salariale. Par ailleurs, dans le secteur public on se heurte au problème de la grille de salaires unique. Un dispositif rigide et inadapté aux spécificités et contraintes de chaque spécialité. D'où un fort mouvement d'insatisfaction qui se développe chez les médecins.
Approuvez-vous le dispositif de l'aide personnalisée à l'autonomie qui sera soumis bientôt au Parlement ?
On ne peut être que d'accord pour améliorer la prestation dépendance qui était jusqu'à présent un dispositif expérimental. Le système de l'APA est cependant insuffisant sur deux points. D'abord, parce qu'il lie la perte d'autonomie à l'âge et ensuite parce que son financement, là encore, n'est pas totalement assuré. La générosité gouvernementale s'exerce d'ailleurs dans ce domaine avec l'argent des conseils généraux et du fonds de réserve pour les retraites. Encore une fois, on déshabille Pierre pour habiller Paul et on s'achète à bon compte une clientèle électorale.
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