UNE «FORFAITURE volontairement vexatoire et dissuasive». C'est peu de dire que le Syndicat national de défense de l'exercice libéral de la médecine à l'hôpital (SNDELMH), qui appelle ses adhérents à une grève administrative totale, est furieux. Un décret daté du 15 mai et publié au « Journal officiel » du 18 motive son courroux. Que dit ce texte ? Que les médecins hospitaliers ayant une activité libérale dans leur établissement doivent verser à l'hôpital une redevance calculée non plus sur la base des tarifs conventionnels (ce qui était la règle jusqu'à maintenant), mais sur la base de leurs honoraires, dépassements compris (modalité qui, jusqu'en juillet dernier, valait uniquement pour les actes hors nomenclature, c'est-à-dire non pris en charge par l'assurance-maladie). Les pourcentages utilisés pour le calcul de la redevance ne changent pas – variables suivant le type d'établissement (centre hospitalier ou CHU), les actes et les spécialités, ils s'échelonnent entre 20 % et 60 % – mais l'assiette de la redevance, elle, s'élargit. Et l'addition s'alourdit pour les médecins.
1 670 médecins et 55 millions d'euros d'honoraires touchés.
Selon les dernières statistiques disponibles – elles portent sur l'année 2004 et ont été rendues publiques l'an dernier par l'IGAS (1) –, quelque 4 212 médecins ont une activité libérale à l'hôpital (soit 11 % de l'ensemble des praticiens). Mais les deux tiers exerçant cette activité en secteur I (aux dépassements réalisés dans le cadre du DE extrêmement limités, 1,85 million d'euros pour 145 millions d'honoraires au total), c'est sur « seulement » 1 670 médecins, ceux dont le secteur libéral se fait en secteur II (voir tableau), que s'appliquent les nouvelles règles.
Les sommes en jeu ne sont pas petites. Car les honoraires totaux de ces médecins hospitaliers de secteur II atteignent 111,6 millions d'euros, dont 55,4 millions de dépassements. 55,4 millions d'euros qui, jusqu'à présent, n'étaient pas soumis à redevance et qui le sont désormais.
Une autre philosophie.
Tout en criant au sabotage d'un statut créé à l'origine pour retenir les médecins à l'hôpital public (voir ci-dessous le point de vue du Pr Jacques Domergue), les tenants du secteur privé n'en font pas tant une affaire de gros sous qu'une question de principe. «On adosse une redevance à un chiffre d'affaires, sur la base d'un pourcentage des honoraires réellement perçus par le médecin et qui sont le fruit de sa notoriété!, s'alarme le Pr Alain Faye, secrétaire général du SNDELMH. La mesure a de quoi inquiéter aussi les médecins des cliniques privées. Si on les logeait à la même enseigne, qu'adviendrait-il de leur indépendance professionnelle? La tentation serait grande pour leurs établissements de les pousser à augmenter leurs tarifs…» Sur la forme également, la profession a été fort surprise de trouver ce texte au « JO » sans aucune concertation ni même information préalable. La publication du décret est vécue comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Ou, pour être plus honnête, dans un ciel « quasi serein » : ballottée depuis l'origine entre ses défenseurs (qui en font un argument de vente de l'exercice public auprès des médecins et un moyen de faire venir à l'hôpital une clientèle qui n'irait pas autrement) et ses détracteurs (qui jugent scandaleux que les praticiens utilisent dans un cadre privé le matériel de l'hôpital), l'activité libérale à l'hôpital a été montrée du doigt ces derniers mois pour ses abus. «Ces grands médecins qui dérapent», titrait ainsi « le Parisien-Aujourd'hui en France » le 25 janvier 2007.
Un trou réglementaire.
Cette fois-ci, il n'est pas certain pourtant que la motivation du législateur ait été purement financière. Et c'est l'ironie de l'histoire. Car le décret du 15 mai a semble-t-il été pris pour combler un vide juridique après que le Conseil d'État a, l'été dernier, annulé la toute petite partie de la réglementation précisant les deux modes de calcul de la redevance (suivant que les actes sont inscrits ou non dans la nomenclature) : rupture d'égalité, ont jugé les magistrats. Dont acte, ont donc répondu les pouvoirs publics… en alignant l'ensemble des actes sur l'enseigne la plus lucrative pour les caisses des établissements et la moins favorable à l'escarcelle des praticiens. «Les bureaucrates n'ont rien trouvé de mieux que cette réponse, constate le Pr Faye, et nous voilà plongés dans une nouvelle spirale de mécontentement.»
(1) Rapport d'avril 2007 sur « Les dépassements d'honoraires médicaux ».
Une histoire mouvementée
Officiellement instauré en 1959, le secteur privé à l'hôpital a connu une histoire mouvementée dont l'une des pages les plus « politiques » a été écrite par un certain... François Mitterrand en 1981. La suppression de l'activité libérale des médecins hospitaliers était en effet l'une des « 101 propositions » du candidat socialiste à la présidence de la République. Une fois élu, celui-ci charge son ministre (communiste) de la Santé, Jack Ralite, de tenir sa promesse. C'est le début d'une bataille homérique entre l'État et les médecins hospitaliers – le bras de fer s'achèvera en 1987 par une victoire des médecins. L'événement marque aussi, ainsi que l'explique le Dr Francis Peigné, président fondateur de l'INPH (Intersyndicat national des praticiens hospitaliers), dans un récent ouvrage (1), la naissance du paysage syndical tel qu'il existe aujourd'hui pour les médecins de l'hôpital. La mesure, en effet, fédère par la colère le corps médical. «Le choc est rude, se souvient le Dr Peigné, d'autant que les propositions des syndicats majoritaires de médecins n'ont aucune écoute ou même sont tournées en dérision.» En réaction, explique-t-il, se crée le «premier regroupement des organisations syndicales de médecins, jusqu'à présent très dispersées», puis voit le jour un «comité de liaison intersyndical regroupant huit organisations». La géométrie des intersyndicats d'aujourd'hui est née.
(1) Dr Francis Peigné, « En toute franchise. Brève chronique de l'hôpital » (mai 1981-novembre 1998), Éditions Eska.
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