LES OPTIONS d’Haneke pour ce « Don Giovanni » sont claires et fortes. Giovanni est un jeune loup, directeur de l’entreprise dont le Commandeur est le boss, le père redouté d’Anna, fille à papa couverte de diplômes et destinée par son géniteur à Ottavio, héritier de l’entreprise concurrente. Giovanni ne l’entend pas ainsi, couche avec la fille, tue le père et se lance avec son assistant Leporello, occasionnellement son amant, à la conquête facile des filles de ménage qui peuplent, la nuit, les couloirs de la tour qui abrite l’entreprise. C’est compter sans Elvira, ancienne conquête provinciale de Giovanni, qui cherche son réconfort dans l’alcool et la revanche.
Le magnifique décor du Viennois Christoph Kanter avec sa baie vitrée sur un univers citadin d’aujourd’hui montre ce monde nocturne de bureaux et crée un espace fort bien utilisé par Haneke, malheureusement trop uniformément et sombrement éclairé par André Diot.
Rarement on a vu tant de cohérence et de force dans un tel projet. La direction d’acteurs est réglée comme pour un film ou du meilleur théâtre avec un luxe de détails, de la violence, du désir, de l’érotisme et une très grande connaissance du livret. Lequel est perverti, c’est entendu, mais avec un très grand pouvoir de convaincre les plus réticents.
Des décalages entre fosse et orchestre.
Les chanteurs se prêtent tous à ce travail, particulièrement les hommes.
Depuis le Festival d’Aix 2002, on sait que le Suédois Peter Mattei est le plus grand Don Giovanni de sa génération, autant par la stature, la présence écrasante, le sex-appeal, que par le volume d’une voix au timbre de velours et une diction magnifique. Haneke l’a conforté dans cette approche très bestiale du personnage, faisant feu de tout bois (il est ici bisexuel), quasi suicidaire et sans aucun scrupule.
Luca Pisaroni, un Leporello plus soumis que double, est aussi un personnage de grand relief au timbre remarquable. Beaucoup de relief également pour le Masetto du Serbe David Bizic, chef de la bande d’émigrés qui nettoient de nuit cet immeuble et qui défend bec et ongles sa Zerlina. Pour les femmes, sauf Zerlina, avec ses faux airs d’Isabelle Huppert, la transformation aura été moins évidente mais elles restent très crédibles sauf, vocalement, Christine Schäfer, qui a une trop petite, quoique très dramatique, voix pour Anna, et Mireille Delunsch, devenue trop fragile et stridente pour Elvira. Magnifique Commandeur que Robert Lloyd dont la voix est cependant sacrifiée par des haut-parleurs de fort mauvaise qualité pour la scène du souper.
Malheureusement, dans la fosse, la vision n’était pas aussi forte. Est-ce le même Sylvain Cambreling qui dirigeait la même oeuvre à la Monnaie de Bruxelles en 1984, puis au Châtelet en 1987 ? Entendre cet excellent orchestre brusqué dans ses tempi, déséquilibré dans ses plans sonores, dérangé dans ses phrasés, poussé à un niveau sonore exagéré pour Garnier et les chanteurs bridés dans leur liberté était assez cruel. Il en résultait des décalages permanents inadmissibles entre fosse et scène. Le choix d’un chef d’orchestre plus neutre aurait certainement renforcé ce spectacle qui ne peut laisser indifférent. A la cinquième représentation, les sifflets étaient rares, le public plutôt ravi, et Sylvain Cambreling s’est bien gardé de venir saluer seul !
Opéra de Paris Palais-Garnier : 0.892.89.90.90 et www.operadeparis.fr. Les 20, 23 et 25 février à 19 h 30. Prochain spectacle : « les Noces de Figaro », mise en scène de Christoph Marthaler, direction : Sylvain Cambreling, du 14 mars et 4 avril. Diffusion sur France Musique le 10 juin à 19 h 30.
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