Le moins qu'on puisse dire de la Corse, c'est qu'elle est bien compliquée. Tous les gouvernements s'y cassent le nez pour des raisons qui, lorsqu'elles nous sont largement exposées par les meilleurs spécialistes, nous laissent quand même sur notre faim.
D'où vient cette minorité indépendantiste qui déstabilise depuis des décennies une île à laquelle la France a consacré tant de ressources, octroyé nombre de privilèges fiscaux, et donné ses meilleurs représentants administratifs ? Sûrement moins d'une scandaleuse injustice historique que de quelque chose qui a plus à voir avec la culture méditerranéenne, le langage, l'insularité, le climat, la morale appuyée non sur le droit mais sur l'honneur de l'individu.
Certes, les maigres ressources de l'île, si l'on excepte le tourisme que nombre de nationalistes considèrent comme une altération de leur identité, expliquent que le niveau de vie de ses habitants n'ait pas encore rattrapé la moyenne de la France continentale. Quant à savoir si le séparatisme est la solution, si moins trois cent mille Corses livrés à eux-mêmes feraient mieux que les préfets qu'on leur envoie, c'est une autre histoire.
Il nous a toujours semblé que les Corses les plus militants ne représentaient nullement la majorité et que, pour mettre un terme à une imposture susceptible de faire croire que les indépendantistes sont soutenus par l'ensemble du peuple corse, il serait bon d'en administrer la preuve par une consultation. Celle que le gouvernement décentralisateur de Jean-Pierre Raffarin a organisée pour le 6 juillet, c'est-à-dire dimanche prochain, n'a même pas pour nom « référendum » bien que c'en soit un. Il s'agit simplement de créer une collectivité territoriale unique à la place des deux départements corses. C'est une façon indiscutable de reconnaître une entité et une spécificité corses, et cela va dans le sens des nationalistes.
Il est vrai qu'en un quart de siècle la Corse aura changé quatre fois de statut ; mais c'est un peu comme les réformes de l'Education nationale qui révélaient les tâtonnements des pouvoirs publics, leur propre perplexité, leur humilité en quelque sorte. Il y a des problèmes dont la solution ne relève pas de la science infuse, mais de la recherche.
Alors, un pas en avant ? Allons donc ! On n'entend qu'un concert de critiques dont le paroxysme a été atteint quand le président de la République, s'engageant en faveur du « oui », a expliqué le référendum comme un moyen de renforcer le lien de la Corse avec l'Etat français. On se demande ce qu'il pouvait dire d'autre : se désavouer lui-même et juger idiote l'idée de la consultation ? Ou affirmer qu'il préparait la sécession ? C'est tout juste si quelques-uns n'ont pas dit au chef de l'Etat de se mêler de ses affaires. Mais, la Corse, c'est son affaire ! Et nous ajouterions à cette phrase un explétif si les convenances nous y autorisaient.
Le pire, c'est que la majorité silencieuse corse, qu'on croyait écrasante, semble s'être effritée à la faveur du projet. Les sondages montrent que le « oui » passera de justesse, s'il passe. Le phénomène est sans doute lié à la lassitude de nos concitoyens corses, qui n'ont pas vu que les efforts des gouvernements, pendant vingt-cinq ans, aient amélioré leur sort et se demandent si l'Etat ne les embarque pas encore dans une aventure sans lendemain. Les nationalistes, qui ne peuvent ignorer que la consultation est un progrès qui va dans leur sens, ont décidé de bouder, à cause de leur romantisme atavique, ou de l'irrédentisme indépendantiste : une idée de Paris, c'est louche. Ils n'ont pas envie d'être du côté du manche.
Peut-on faire le bonheur des Corses contre leur gré ? L'enjeu se situe entre l'irrationnel, qui conduit à la violence et aux crimes, et le rationnel, qui prend rarement racine sur une terre pauvre et douloureuse. Cent quatre vingt-onze mille personnes sont inscrites sur les listes électorales de Corse ; il y en a probablement autant qui ont fait en France des carrières superbes, parfois illustres, preuve qu'il existe une vigueur, dans le caractère corse, que l'on peut envier. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, tous les gouvernements, sauf peut-être celui de Lionel Jospin, ont résisté à la tentation de laisser la Corse choisir son destin. Pour une raison qui a moins à voir avec l'emprise de la nation sur les éléments qui la composent qu'avec l'absurdité d'une démarche qui consisterait à confier à une minorité violente et divisée le soin de définir ce destin.
Imparfaite, ambiguë, un peu côté de la question de fond, la consultation n'en sera pas moins utile, même si le « non » l'emporte. Il confirmerait en apparence que les Corses veulent garder leurs deux départements, ce qu'ils ne veulent pas vraiment. En revanche, si les Corses votent « oui », ils affirmeront leur spécificité régionale et pourront suivre un chemin où se sont engagées beaucoup de régions (espagnoles, italiennes, britanniques) : celui d'une autonomie croissante qui permet de créer des liens interrégionaux européens sans passer par les capitales. La Corse a une chance d'entrer en Europe par la bonne porte. Nous lui souhaitons de la saisir.
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