« Le Sourire de Stravinsky »

Correspondance

Publié le 24/04/2006
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UN OCTOGENAIRE, veuf depuis peu et inconsolable, se laisse dépérir. Sa fille l’accompagne avec stoïcisme dans son ultime voyage. En même temps, elle rédige un ouvrage sur Stravinsky, sa vie, son oeuvre. La biographie de l’artiste est d’ailleurs étalée sous nos yeux : il s’agit, littéralement, d’un livre sur le compositeur russe, mais inachevé, sorte de charpente ou de gros oeuvre, avec des documents, des photographies, tout le matériel que l’écrivain aurait mis en forme si « le Sourire de Stravinsky » n’avait été aussi un livre sur le père de l’auteure et, bien entendu, sur l’auteure elle-même.

Dans un accès d’audace, on irait jusqu’à prétendre que l’héroïne (d’ailleurs anonyme) décrit la ressemblance, improbable, imaginaire, presque rêvée entre Stravinsky et son père, lui-même musicien. Ou seulement une vague correspondance entre les reflets que projettent les images des deux personnages. Mais rien n’est moins sûr. Il s’agit d’autre chose, peut être de la difficulté à accompagner son père jusqu’à la mort, à satisfaire un homme aigri par ses échecs et ses malheurs, et à l’aimer malgré lui. Ou peut-être du récit d’une destinée, ce compositeur russe acclamé en Europe et en Amérique, qui s’étonne de son propre succès et de l’argent qu’il a gagné. Ou encore des membres d’une famille finalement plus soudée qu’il n’y paraît où l’on affronte le deuil avec courage, où la dignité est d’autant plus impressionnante que la douleur est ressentie, tant il est vrai que les êtres qui souffrent le plus ne sont pas forcément ceux qui s’en plaignent.

Et bien sûr, ce n’est rien de tout cela. C’est une leçon sur l’art de tout dire avec un nombre infime de mots. Elle laisse au lecteur le soin d’écrire tous les autres, des millions de mots qui, réunis, n’exprimeront pas ce qu’il y a, dans ce petit roman, de dense, de pénétrant, de juste, de profond, d’émouvant, de noble, et en définitive, d’infiniment civilisé.

« Le Sourire de Stravinsky », Gallimard, 95 pages, 9,50 euros.

> RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7947