« Son frère », de Patrice Chéreau

Corps souffrants

Publié le 16/09/2003
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Cinéma

Son frère. Pas les frères, pas un frère. Ce qu'ausculte Chéreau, d'après le roman de Philippe Besson, c'est la relation particulière qui se noue entre un homme miné par la maladie (la destruction inexorable de ses plaquettes) et son frère, avec lequel les liens s'étaient distendus.

A mesure que Thomas dépérit, Luc met en question son propre rapport au corps, et au corps masculin, lui qui est homosexuel. « C'est un film sur les corps et sur la manipulation d'un corps en particulier, explique le metteur en scène. C'est un film sur les peaux, sur la dégradation d'un corps qui était sans doute très actif et qui, là, est contraint de se laisser manipuler. Il devient passif et abandonné, on le regarde, on le compare aux autres corps, ceux qui sont en bonne santé. »
Voici les frères à l'hôpital (le film a été tourné principalement à Beaujon). Luc n'est plus maître de lui-même, sans cesse manipulé, piqué, palpé tourné, observé comme un objet. Thomas n'est pas plus libre, ne pouvant qu'être passif, impuissant, enfermé.
Parfois, une évasion, une plage bretonne, un ciel plus clair. Mais le corps souffrant, dans sa nudité blessée, a toujours le dessus. Chéreau le filme au plus près, au-delà de la pudeur ou de l'impudeur, avec une fascination clinique qui ne va pas sans susciter un certain malaise. Bruno Todeschini a dû perdre 12 kilos pour être ce grand malade. Aux limites du faire semblant, il incarne une souffrance qui reste belle, une dégradation qui reste cinématographique.
C'est tout l'art de Chéreau - avec l'aide pour le scénario et les dialogues, comme pour « Intimité », d'Anne-Louise Trividic -, que de rendre cinématographique la mort à l'œuvre et de susciter des émotions avec les seules attitudes des corps.
Il est « l'un des rares véritables directeurs d'acteurs au cinéma », dit de lui Caracava. Il sait aussi les choisir, ses acteurs. Caracava, sorti de « la Chambre des officiers », de Dupeyron, est remarquable de retenue interrogatrice. Todeschini, qui a débuté grâce à Chéreau (les Amandiers, à Nanterre, « Hôtel de France »), est une saisissante figure de la douleur.
On voit beaucoup de chambres d'hôpital, en ce moment, sur les écrans. On peut choisir de fuir le sujet. On passerait à côté d'un beau film existentiel.

Renée CARTON

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7384