L A loi et la déontologie sont très précises vis-à-vis du secret médical. Malgré ces strictes codifications, « force est de constater qu'il existe des cas de conflit entre les médecins et la justice », souligne toutefois le Dr Jean Pouillard, du Conseil national de l'Ordre des médecins, lors du débat qui a réuni récemment, autour du Pr Bernard Glorion, divers protagonistes qualifiés de la question : experts, avocats, magistrats, gendarmes et autres légistes.
Tous intervenants unanimes pour déplorer la méconnaissance fréquente de la loi et de son interprétation observée, selon Me Jean-Paul Lévy, secrétaire général du Conseil national des Barreaux, chez les médecins comme chez les autres citoyens. D'où, affirme l'avocat, « la nécessité de mener des actions pédagogiques afin de lutter contre les idées reçues ».
Développer une FMC en médecine légale
Certes, il existe bien un enseignement universitaire de la médecine légale, mais, remarque le Pr Dominique Lecomte, directrice de l'Institut médico-légal de Paris (IML), il « intervient trop tôt dans la formation des étudiants en médecine. Or ces derniers sont plus préoccupés par le concours d'entrée à l'internat que par la médecine légale ». « Je crois, propose, dans ces conditions, le Pr Lecomte, qu'il faut développer la formation continue en matière de médecine légale. La méconnaissance du système judiciaire par les médecins induit une crainte qui paralyse la coopération avec la justice. »
Cette crainte est parfois justifiée. « Je vous citerai l'exemple de deux médecins parisiens, a rapporté le Dr Gérard Grillet, qui, après avoir extrait une balle sur un blessé, en avertissent le directeur de la clinique. Après que le blessé fut sorti de la clinique, il a porté plainte contre nos confrères pour violation du secret médical. Et ils ont été condamnés par le conseil régional de l'Ordre à un mois d'interdiction d'exercice de la médecine. » Plutôt que de parler de peur, rectifie Me Catherine Paley-Vincent, avocate, « je préférerais parler de crainte de violer le secret professionnel. Le médecin fait en effet souvent l'objet de pressions de la part de la justice pour le forcer à révéler des informations ».
21 dérogations
Pourtant, rappelle le Dr Pouillard, le code de déontologie médicale indique clairement que « le secret médical, institué dans l'intérêt des patients, s'adresse à tout médecin » (article 4) et « les textes définissent douze dérogations légales obligatoires, quatre dérogations permises par la loi et cinq dérogations jurisprudentielles. Toutes ces dérogations sont nécessaires pour la santé publique et pour la collectivité, sans compromettre l'intimité des patients. Elles sont également nécessaires pour l'intérêt individuel. Les dispositions de l'article 2 du code de déontologie, précisant que « le médecin est au service de l'individu et de la santé publique », conduisent le médecin à pouvoir être mandaté par l'autorité judiciaire ou par l'autorité administrative avec une mission bien précise, par une commission rogatoire, une réquisition ou un mandat, dans le cadre d'une procédure pénale ».
L'achoppement du signalement
Parmi toutes les occasions d'achoppement entre médecins et juges, le signalement constitue probablement la première pierre. « La loi et la jurisprudence ne fixent pas d'obligation de dénonciation, précise Me Lévy, mais elles déterminent des facultés de signalement. L'article 80 du code de la famille oblige les travailleurs sociaux, dont les médecins, à signaler les mauvais traitements infligés aux mineurs. Toutefois, le médecin ne doit pas les signaler au juge, mais au président du conseil général, ou au responsable désigné par lui dans le cadre des services sociaux d'aide à l'enfance. »
Le signalement des personnes blessées par balles est souvent aussi problématique.
« J'ai été confronté dans les années quatre-vingt à une situation embarrassante, témoigne un médecin hospitalier. J'ai trouvé un papier sur le téléphone du service où je travaillais m'avertissant qu'un homme blessé par balle à la jambe droite était susceptible de se présenter à mon établissement. Le commissaire de police me demandait de le contacter si ce dangereux personnage était hospitalisé dans mon service. Je n'ai pas tenu compte du message. »
Dans ce cas, explique le Dr Pouillard, il aurait été nécessaire que le médecin prévienne le procureur de la République. Ce que confirme Solange Moracchini, premier substitut au tribunal de grande instance de Créteil. « Certes, souligne la magistrate, le médecin n'est pas obligé de dénoncer tous les délits, mais, dans un certain nombre de cas, il doit révéler des informations pour protéger une victime. Or les médecins ne connaissent pas les infractions qu'ils pourraient commettre en ne signalant pas à la justice les mauvais traitements. Ils sont mal informés sur l'étendue du secret professionnel (...)
« Je pense, insiste-t-elle, que les médecins sont isolés dans leur pratique et qu'ils n'oseront pas coopérer avec la justice tant qu'ils ne connaîtront pas leurs interlocuteurs et les modalités d'intervention. »
Car, pour prendre un exemple concret, le praticien ignore de quelle manière il convient de rédiger un certificat pour signaler les mauvais traitements. Il « peut, explique le Pr Glorion, rapporter les propos d'un enfant, soit en les mettant entre guillemets, soit en les rédigeant au conditionnel. De plus, le médecin doit impérativement préciser qui est l'auteur des propos qu'il rapporte. Je pense, en effet, que mes confrères ne sont pas suffisamment informés sur la rédaction de ce type de certificats ».
Réagissant à ces situations, souvent sources de conflits entre médecins et juges, la chancellerie avait proposé en 1998 des réunions à travers la France avec médecins, magistrats, policiers et gendarmes, pour définir les missions et les attributions de chacun et mettre en place des procédures claires, connues et comprises de tous (« le Quotidien » du 25 novembre 1998). Cette suggestion fait son chemin, lentement, mais sûrement. Dans plusieurs départements, comme la Seine-Maritime, la Somme ou l'Aisne, des conseils de l'Ordre ont pris l'initiative de rapprochements entre les différents partenaires, rédigeant des chartes qui présentent des protocoles pratiques selon les diverses situations envisagées.
Le Pr Glorion souhaite aujourd'hui que ces initiatives se multiplient et invite, à cette fin, « tous les conseils départementaux à organiser des réunions entre les médecins et les magistrats ».
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