La tension est montée d'un cran lors de la deuxième séance de négociations conventionnelles entre les syndicats de médecins libéraux et les caisses d'assurance-maladie. Le Dr Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), perd patience, à une semaine de l'ultime séance de négociation programmée le 11 décembre, car il n'a pas de propositions chiffrées des caisses à se mettre sous la dent.
« On voit mal comment on pourrait faire un bout de chemin ensemble quand on n'est d'accord sur rien », constate le dirigeant de la première centrale syndicale de médecins libéraux. « Nous ne sommes pas parvenus à établir une communauté de culture avec l'assurance-maladie, hormis MG-France qui a, plus que jamais, une culture de caisses », déplore le Dr Chassang.
Déjà échaudé par le projet d'accord-cadre interprofessionnel (ACIP) qui est, selon lui, à refaire (« le Quotidien » du 4 décembre), le Dr Chassang voit de la provocation dans le document de travail - remis par les caisses - qui recense les axes stratégiques conventionnels entre les médecins et l'assurance-maladie (voir ci-dessous).
Alors que la CSMF a toujours affirmé son attachement au paiement à l'acte, le texte multiplie les forfaits, pour les médecins en « zones rurales ou périurbaines à faible densité médicale », pour ceux exerçant en groupe et pour les praticiens qui veulent diminuer leur activité à l'approche de la retraite.
Cela revient à « transformer les médecins en chasseurs de primes », estime le Dr Chassang. Il rejette de même les contrats de bonne pratique, devenus depuis « contrats de pratiques professionnelles » à adhésion individuelle, ainsi que le « document médical de liaison et d'échanges », formaté par un cahier des charges, et donc assimilable à « un carnet de santé bis ».
Surtout, la CSMF est outrée par l'idée des caisses de « bannir définitivement les approches uniformes du métier de médecin ». Devant l'attitude de l'assurance-maladie « qui frise l'autisme », le Dr Chassang mise maintenant sur « ses contacts permanents avec le gouvernement » pour faire avancer les revendications de la CSMF en matière de rémunérations et d'espaces de liberté tarifaire.
A l'UMESPE, la branche spécialiste de la CSMF, on adopte logiquement la même posture. « Enervée » par la dernière réunion de négociation, l'UMESPE-CSMF « demande au ministre de la Santé, Jean-François Mattei, de donner une impulsion politique forte » pour que la négociation du 11 décembre aboutisse à une convention unique avec des volets spécifiques. Evoquant une éventuelle « rupture des négociations conventionnelles », l'UMESPE envisage même d' « organiser une rencontre avec les financeurs complémentaires pour bâtir une alternative au système conventionnel ».
La Fédération des médecins de France (FMF) se montre également très pessimiste. Son président, le Dr Jean-Claude Régi, s'interroge notamment sur les revalorisations d'honoraires : « On discute sur quoi ? On ne sait toujours rien ». Le Dr Régi « note l'absence d'une réelle volonté de créer un espace de liberté tarifaire », alors que son syndicat plaide en faveur de la réouverture du secteur II à honoraires libres.
Le SML calme le jeu
Toutes ces déclarations pourraient laisser croire que la signature d'une nouvelle convention est à ce jour très compromise. Or le Syndicat des médecins libéraux (SML), grand allié de la CSMF depuis la grève des gardes et l'obtention du C à 20 euros, « se refuse à la surenchère pendant les négociations » et « n'est pas dans un scénario de rupture ». A défaut d'une convention rédigée in extenso, « un accord politique » peut encore être conclu la semaine prochaine, selon son président, le Dr Dinorino Cabrera, d'autant que « tout le monde a intérêt à trouver un accord ». « Même si on avance trop lentement, on avance quand même », souligne le Dr Cabrera. Les élections prud'homales du 11 décembre retardent un peu les choses, dit-il, mais il note avec satisfaction que les caisses sont « a priori favorables » à une revalorisation des actes cliniques et des honoraires des chirurgiens. Le Dr Cabrera approuve « la régulation des volumes d'actes en contrepartie d'une meilleure rémunération ». « Contrairement à la CSMF, nous ne rejettons pas a priori le secteur optionnel (options négociées collectivement mais librement choisies par les médecins, NDLR) », précise le président du SML. Il regrette malgré tout l'obligation de télétransmission généralisée et le refus d'un DE (dépassement tarifaire) étendu.
Le Dr Pierre Costes, président du syndicat MG-France, est pour sa part mitigé : « On a une direction stratégique intéressante, mais sa crédibilité viendra avec le calendrier et les valeurs des mesures immédiates ».
Enfin, l'Alliance intersyndicale des médecins indépendants de France (né du rapprochement du SMIF et de l'UCCSF), est le syndicat le plus optimiste. Les membres de sa délégation « ont cru comprendre », au fil de ses contacts avec les caisses, qu'elles disposent d' « une enveloppe de 400 millions d'euros » destinée principalement aux spécialistes, notamment les chirurgiens et les autres spécialités les plus sinistrées. L'Alliance « se félicite » de la participation des caisses aux primes d'assurance en responsabilité civile professionnelle (RCP) et de la prise en charge des gardes et astreintes, y compris celles des spécialistes des cliniques privées.
Les caisses proposent une convention « à la carte »
Dans un document de travail « stratégique » présenté lors de la dernière séance de négociations, les caisses résument ce que pourraient être les « engagements » respectifs de l'assurance-maladie et des médecins.
Les caisses acceptent des « mesures d'application rapide de revalorisation ciblée » qui porteraient sur certains actes techniques (chirurgicaux, par exemple), mais aussi cliniques (consultations de second recours, consultations ciblées...). Elles s'engagent comme prévu à participer aux primes de responsabilité civile professionnelle (RCP) pour les médecins du secteur I. Selon certains syndicats, l'assurance-maladie pourrait assumer les deux tiers du coût de la RCP. Les caisses prendraient également en charge de nouvelles fonctions « qui ne peuvent être rémunérées à l'acte », telles que les contraintes de garde et d'astreinte des généralistes et des spécialistes (dans les cliniques). L'obligation de l'assurance-maladie concernerait enfin le « respect des délais de paiement » en cas de tiers payant.
Mais, surtout, les caisses veulent, comme l'a prévu la loi, donner aux médecins « une plus grande liberté de choix » dans le cadre d'une convention « non monolithique ». Il s'agit en clair d'évoluer vers un système en partie à la carte. La convention proposerait donc aux médecins divers « volets », « incitations » ou « rémunérations complémentaires » correspondant soit à des types d'activité spécifique (exercice en zones rurales ou périurbaines à faible densité, valorisation de l'exercice en groupe, accompagnement des médecins « qui aspirent à une moindre activité » avant la retraite), soit à des « options négociées collectivement », mais laissées au libre arbitre de chaque médecin. L'assurance-maladie proposerait sous forme contractuelle de valoriser certaines qualifications ou encore l'évaluation « certifiée » de la pratique ; de conclure avec les médecins des « contrats de santé publique » (dépistage des cancers, par exemple) voire, à titre expérimental, des « contrats de pratique professionnelle »; ou encore de majorer le rôle d'expertise de second recours ou « la prise en charge coordonnée » des patients bénéficiant de soins palliatifs. Une liste d'options non exhaustive.
Quant aux médecins, leurs engagements porteraient sur la signature d'accords de bon usage des soins (AcBUS) dont plusieurs thèmes sont dans les tuyaux : transports sanitaires, polymédication des personnes âgées, adénome de la prostate, examens de biologie et chimiothérapie ambulatoire. Seraient aussi prévus des « engagements collectifs ou individuels de régulation des volumes » des actes en contrepartie d'une « meilleure rémunération ». Enfin, ils s'engageraient à télétransmettre.
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