En annulant plusieurs mesures, et non des moindres, de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2002, le Conseil constitutionnel a porté un rude coup à la politique conduite par le gouvernement dans ce domaine et notamment aux efforts déployés depuis un an par la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Elisabeth Guigou, pour rétablir le dialogue avec les professionnels de santé et rebâtir le système conventionnel qui les lie aux caisses d'assurance-maladie.
Partant du constat d'échec du plan Juppé à résoudre les problèmes de la médecine de ville et notamment la question centrale de la maîtrise des dépenses de santé, Elisabeth Guigou avait engagé au début de l'année une concertation avec l'ensemble des professionnels et des partenaires sociaux afin de remettre à plat les bases de ce système.
Deux « Grenelle de la santé », en janvier et juillet, et un rapport élaboré par un comité des sages au terme d'une vaste consultation ont été nécessaires pour poser les bases d'une réforme, conduisant la ministre à introduire certaines des mesures préconisées, de manière un peu précipitée, dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
Une précipitation condamnée
L'objectif affiché de ces mesures était de mettre fin, pour ceux qui s'engageaient dans le nouveau dispositif conventionnel, aux sanctions collectives qui menaçaient les professionnels de santé en cas de dépassement de leurs objectifs de dépenses.
C'est justement cette précipitation qu'a condamnée le Conseil constitutionnel, qui juge le procédé un peu cavalier pour un texte de cette importance.
L'article de loi a été jugé contraire à la Constitution dans la mesure où il a introduit « après la réunion de la commission mixte paritaire des dispositions qui, compte tenu de leur portée et de leur ampleur, doivent être considérées comme nouvelles », a estimé la Haute Juridiction.
Élisabeth Guigou a immédiatement « pris acte » de cette décision, soulignant bien que, sur ce point, l'annulation était liée à « des motifs de procédure et non de fond ». Les membres du gouvernement et les parlementaires socialistes ont rapidement pris le relais pour également dédramatiser l'incident.
Il ne s'agit que « d'un problème juridique et technique finalement relativement secondaire », a insisté le secrétaire d'Etat à l'Industrie, Christian Pierret, tandis que le président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, Jean-Marc Ayrault, s'empressait d'indiquer qu'il envisageait de réintroduire cette mesure par voie d'amendement dans un autre texte actuellement en discussion au Parlement, peut-être celui relatif au droit des malades et à la qualité du système de santé dont l'adoption est prévue au mois de février.
Pour lui la question de fond, c'est-à-dire « passer de la logique comptable du plan Juppé à une logique de responsabilisation par une convention négociée est toujours d'actualité. Elle sera au cur du débat des prochaines semaines ».
Des voies parlementaires appropriées
La ministre de l'Emploi et de la Solidarité a aussitôt engagé les professionnels et les caisses d'assurance-maladie « à poursuivre les voies du renouveau conventionnel prévu dans la réforme », c'est-à-dire, d'une part la négociation avec le Centre national des professions de santé (CNPS) d'un accord-cadre commun à l'ensemble des professionnels libéraux et, d'autre part la discussion par profession sur des engagements collectifs et individuels en matière d'activité et de qualité des soins. « La réforme prévoyait la suppression des lettres clés flottantes pour les professions qui s'engageaient dans la voie conventionnelle. Le gouvernement entend reprendre par des voies parlementaires appropriées cette réforme », a-t-elle promis dans un communiqué. Elle y est d'ailleurs fortement encouragée par les syndicats de salariés qui siègent dans les caisses d'assurance-maladie. La CGT a demandé au gouvernement « de prendre toutes les dispositions pour utiliser un autre support législatif » afin d'aboutir rapidement à un dispositif conventionnel rénové.
Les attaques de l'opposition
Cependant, l'opposition ne s'est pas privée de revenir à la charge contre la politique du gouvernement dans ce domaine qui avait déjà fait l'objet d'âpres discussions au moment de l'examen de la loi au Parlement. Ainsi, le président de la commission des Affaires sociales du Sénat, Nicolas About, a estimé que, en annulant l'article 18 « qui était censé être « la » réponse apportée par le gouvernement à l'inquiétude des professionnels de santé », le Conseil constitutionnel « a sanctionné une gesticulation introduite en dernière lecture de la dernière loi de financement de la législature ». Au total, celle-ci s'achève selon lui sur « un constat de naufrage des relations avec les professions de santé ».
Les députés UDF se sont également félicités de la décision de censure par le Conseil constitutionnel qui signe, selon eux, « un nouvel échec pour le gouvernement, décidément incapable de relancer une politique conventionnelle en déshérence » ; tandis que le RPR estime pour sa part que c'est « toute la politique sociale du gouvernement et les obscures modalités de son financement qui sont justement sanctionnées ». « L'annulation d'articles importants prouve que les critiques de l'opposition mais aussi des partenaires sociaux étaient justifiées », a tranché le président du groupe Démocratie libérale à l'Assemblée nationale, le Pr Jean-François Mattei.
Enfin, le Medef, par la voix de son vice-président délégué, Denis Kessler, considère comme une « victoire » ce revers du gouvernement, qu'il s'agisse du financement des 35 heures (voir ci-contre) ou de la relance de la politique conventionnelle.
Analyse politique en page 8.
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