PRATIQUE
Après des bilans clinique et biologique standardisés, l'échographie s'est affirmée comme examen complémentaire de référence dans le diagnostic des épanchements intrapéritonéaux, avec une sensibilité de 52 % et une spécificité de 96 %. Le scanner permet de préciser les lésions d'organes pleins, voire creux (bulles de gaz), d'apprécier les lésions associées (espace rétropéritonéal), reléguant au deuxième plan la ponction lavage du péritoine, l'urographie, l'artériographie (qui garde un intérêt thérapeutique).
Les indications opératoires systématiques sont moins formelles ; moins formelles aussi les frontières entre chirurgiens, réanimateurs, radiologues, dont les rôles sont complémentaires au sein de structures adaptées, le facteur temps prenant une importance capitale tant les conduites diagnostiques et thérapeutiques sont intriquées (voir schéma).
Il faut distinguer une phase de restauration au cours de laquelle la perfusion tissulaire optimale, l'oxygénothérapie, l'expansion volémique, la lutte contre l'hypothermie, permettent de redresser certaines situations compromises puis de reconnaître les cas où une hémorragie active persiste et doit encore faire envisager deux cas de figures :
- soit l'hémodynamique est stable et la clinique, le scanner hélicoïdal permettront de reconnaître les lésions chirurgicales « différées » (perforation d'organe creux, trans-section du pancréas, ruptures du diaphragme) ou celles qui relèvent d'une surveillance active ;
- soit elle ne l'est pas et si l'échographie montre un hémopéritoine, la laparotomie s'impose. S'il n'y a pas d'hémopéritoine, on pourra discuter l'artériographie et des embolisations d'hémostase.
L'existence d'un polytraumatisme grève lourdement le pronostic, la mortalité passant de 6 % pour un traumatisme isolé du foie à 15 % lorsque trois organes sont atteints, et elle s'accroît encore si d'autres régions que l'abdomen sont touchées, en particulier le crâne.
Si, au terme de l'algorithme ci-dessus, on a décidé la laparotomie, il faut installer le blessé avec un rachis cervical en rectitude, prévoir un champ opératoire incluant le Scarpa et le thorax, et réaliser une incision médiane, éventuellement agrandie en sternotomie, qui permet une exploration minutieuse et un contrôle des hémorragies en plaçant des champs dans différentes régions (hypocondres, gouttières pariétocoliques, pelvis), en n'hésitant pas à comprimer l'aorte à droite de l'sophage. L'hémostase acquise (ligatures, compression par des champs, notamment sous-hépatiques si l'on suspecte une blessure d'une veine sus-hépatique, hépatectomie, splénectomie), il faut rechercher et traiter les causes de contamination bactérienne (ruptures canalaires, perforations d'organes creux, en explorant duodénum, rectosigmoïde, bord mésentérique du grêle et angles du côlon).
La réparation définitive des lésions peut, en cas d'état trop précaire du blessé, être reportée de quelques jours (laparotomie écourtée). Les indications principales en sont les lésions de veines inaccessibles (sus-hépatiques), les traumatismes duodénopancréatiques, des anomalies de coagulation. Dans ce cas, la fermeture ne sera que cutanée, pour faciliter la réintervention et éviter le syndrome du compartiment abdominal, dépisté par l'élévation de la pression intravésicale, lié le plus souvent à une reprise hémorragique ou à un dème intestinal et traité par laparostomie.
A l'opposé, une stratégie non opératoire s'est développée depuis vingt ans et repose sur des critères stricts : stabilité hémodynamique, lésions limitées aux organes pleins abdominaux, transfusion de moins de deux culots globulaires, du moins pour les traumatismes de la rate. Elle implique des contraintes : structure de soins intensifs, proximité d'un scanner, surveillance clinique (monitorage du pouls et de la tension, examens de l'abdomen, hématocrites, imagerie).
Les organes abdominaux touchés méritent une étude analytique.
La paroi abdominale est rarement en cause, sauf dans les accidents de deux-roues ou liés à la ceinture de sécurité. Il s'agit en règle d'un hématome, sous-cutané ou musculaire (accident des anticoagulants), voire d'un décollement de Morel-Lavallée (collection séro-lymphatique évacuée par drainage aspiratif) ;
Le diaphragme est plus souvent touché lors des plaies que lors des contusions. Il s'agit alors surtout d'une décélération brutale au cours d'un accident de voiture avec ceinture de sécurité, à glotte fermée (hyperpression). Les lésions associées sont très fréquentes (> 80 %), intra-abdominales (rate, foie, intestin) ou extra-abdominales (thorax, rachis, membres, crâne). Les signes de choc sont fréquents, avec dyspnée. Le cliché de thorax peut montrer un épanchement pleural gazeux ou sanglant, mais surtout une ascension de la coupole et/ou une image hydroaérique digestive de l'estomac hernié. Si la rupture mesure < 11 cm, il n'y a souvent pas d'ascension des viscères et le diagnostic, surtout à droite, sera tardif. Il faut donc rechercher la lésion de principe si on opère (et parfois associer une thoracotomie) et répéter les examens si on n'opère pas ;
L'atteinte du foie est grevée d'une mortalité de 14 %, essentiellement par hémorragie, dans les fractures unilobaires ou en cas de plaies des veines cave, sus-hépatiques, ou de lésions du hile (grades IV et V de la classification de Moore). La mortalité est particulièrement élevée en cas de lésions extra-abdominales associées. Le traitement en est chirurgical d'urgence après réanimation rapide (transfusions, amines pressives, voies d'abord multiples), et peut comprendre clampages vasculaires, suture hémostatique, ligature de l'artère hépatique ou d'une de ses branches, résections atypiques (de mauvais pronostic), tamponnement périhépatique avec chirurgie en deux temps (laparotomie écourtée).
Récemment, le concept de traitement non opératoire s'est développé, même dans les lésions étendues (grades IV et V), et surtout centro-hépatiques, à condition qu'elles soient isolées et que l'état hémodynamique soit stable. Une reprise hémorragique pourra être traitée par embolisation de Spongel®. Mais il faut garder à l'esprit la possibilité d'une rupture d'un canal biliaire qui justifierait une cholangiographie rétrograde, une endoprothèse, un drain nasobiliaire, et une éventuelle laparotomie de toilettage péritonéal secondaire. Une surveillance prolongée (quelques mois) sera nécessaire pour voir disparaître les hématomes hépatiques ;
La rate est l'organe le plus souvent lésé, surtout dans les accidents de la voie publique, et même quand l'impact n'est pas basithoracique gauche. La douleur et l'état de choc peuvent être en relation avec des lésions associées, fréquentes, qui compliquent le diagnostic. Celui-ci est aidé, outre le bilan biologique initial, par des clichés thoraciques (fractures de côtes), abdominaux (refoulement de la poche à air gastrique), et surtout par l'échographie, à la recherche d'un épanchement péritonéal, d'un hématome sous-capsulaire et de lésions associées. Le meilleur examen reste pourtant le scanner qui permet de classer les lésions en trois stades (hématome sous-capsulaire, atteinte parenchymateuse respectant ou non le hile). Avec les mêmes critères et contraintes de surveillance que pour le foie, un traitement non opératoire peut être proposé, notamment dans les premiers grades, en arguant des dangers de la splénectomie (thromboses et infections à pneumocoques). En cas de choc ne répondant pas à la réanimation, ou d'échec du traitement non opératoire, la laparotomie (médiane de principe) s'impose : si la splénectomie totale est le seul recours dans les éclatements, la splénectomie partielle est possible quand un pôle seul est dévascularisé, ou sinon l'enveloppement dans un filet résorbable. Mais les méthodes conservatrices ont aussi leurs inconvénients : rupture secondaire, en général, mais pas obligatoirement dans les cinq jours, hématomes secondaires enkystés, abcès, faux anévrismes dépistés par le scanner, confirmés et traités par l'artériographie. Au total, le sauvetage de tout ou partie de la rate est possible dans > 50 % des cas ;
Le duodéno-pancréas est plus rarement touché que dans les plaies par armes à feu et suppose un traumatisme appuyé et violent avec souvent lésions associées. Le diagnostic, évoqué devant une élévation importante de l'amylasémie (x5), est étayé par l'existence d'un petit pneumo- ou surtout rétropneumopéritoine sous forme de bulles gazeuses périrénales. Un scanner (pas trop précoce) objectivera une rupture isthmique ou duodénale, la résonance magnétique pouvant montrer un arrêt sur le canal de Wirsung ou sur le cholédoque, la cholangiographie rétrograde pouvant également arriver à ces conclusions, mais plutôt en cas de doute peropératoire. Le traitement varie selon les dégâts. Si un hématome compressif et occlusif doit être évacué après vérification de l'intégrité digestive, une rupture sans atteinte papillaire sera suturée, drainée. En cas de désinsertion papillaire, une duodénopancréatectomie céphalique sera discutée. Devant une rupture isthmique, une anastomose pancréaticojéjunale ou gastrique sera proposée. Le risque de ces lésions, outre la pancréatite aiguë, réside dans la survenue d'abcès, de faux kystes, de fistules ;
Les viscères creux et leurs mésos sont assez fréquemment blessés, souvent en association avec d'autres lésions. La ceinture de sécurité a augmenté leur prévalence. Le signe de la ceinture (bande ecchymotique pelvienne) est dix fois plus fréquent en cas de lésions intestinales qu'en leur absence. Le diagnostic en est difficile, même au scanner (anses épaissies), et la ponction lavage du péritoine avec comptage des leucocytes est d'un bon appoint. La clioscopie trouve ici une petite place en cas de diagnostic douteux pour authentifier un épanchement, mais elle peut méconnaître une perforation couverte. L'intervention suppose en effet une exploration complète et, selon la gravité des lésions, on proposera une suture, une résection anastomose ou une double stomie pour les plaies du grêle, plus souvent touché que le côlon ;
Les organes rétropéritonéaux sont relativement protégés mais leur atteinte est souvent découverte avec retard du fait d'une symptomatologie fruste. L'hématome rétropéritonéal est en règle découvert sur le scanner, sauf si l'urgence n'a pas permis de pratiquer ce dernier. C'est alors une découverte opératoire : s'il est expansif et/ou central, il faut l'explorer ; s'il est latéral ou pelvien, il faut le respecter.
Devant un traumatisme du rein, évoqué devant la douleur lombaire et l'hématurie, il faut classer la lésion de la simple contusion (stade I) à la rupture du pédicule rénal (stade V) en essayant d'être au maximum conservateur, la chirurgie visant à assurer l'hémostase, à drainer ou réparer les cavités excrétrice, la néphrectomie partielle ou totale n'étant faite qu'en dernier recours et après urographie sur table si on n'a pas la certitude de l'existence d'un rein fonctionnel controlatéral. Les embolisations artérielles ou les drainages percutanés ont une place dans la stratégie thérapeutique. La chirurgie différée de quelques jours quand l'hémostase est réalisée permet de n'enlever que les zones ischémiques et d'éviter ainsi l'apparition de séquelles tardives (urinomes, hypertension artérielle).
Au total, il faut retenir que si les ruptures d'organes creux demeurent des indications opératoires formelles, les techniques modernes de surveillance par imagerie, l'embolisation, ont permis de réduire les interventions pour les lésions d'organes pleins et que les opérations de sauvetage, le tamponnement, la laparotomie écourtée, ont permis de diminuer un peu la mortalité qui reste lourde dans les polytraumatismes.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature