De notre correspondante
à New York
« Une pulvérisation nasale de cette enzyme pourrait prévenir les infections avant qu'elles commencent. Nous n'aurions plus besoin d'attendre qu'une infection survienne pour la traiter », explique dans un communiqué le Dr Vincent Fischetti, qui a dirigé l'équipe de l'université Rockefeller (New York). « La résistance aux antibiotiques est rapidement en train de devenir un problème sérieux de santé publique. Ces enzymes offrent une méthode alternative pour combattre les organismes pathogènes résistants », ajoute-t-il.
Le portage naso-pharyngé asymptomatique, en particulier chez les enfants, est le principal réservoir du Streptococcus pneumoniae dans la population. Ce germe peut être isolé chez 5 à 10 % des adultes sains et 20 à 40 % des enfants sains. Après acquisition de la souche, l'adulte reste colonisé de deux à six mois. A partir de la colonisation du naso-pharynx, l'infection par le pneumocoque peut survenir par contamination directe dans les oreilles, les sinus et les poumons et par contamination hématogène dans les méninges et d'autres organes. Cette bactérie est l'une des principales causes de morbimortalité chez les jeunes enfants, les personnes atteintes de maladies sous-jacentes, et les personnes âgées.
La prévention repose actuellement sur la vaccination de la population susceptible. Mais le vaccin n'est pas totalement protecteur et son efficacité n'est pas prouvée chez les personnes immunodéprimées. La colonisation est une excellente cible pour contrôler les infections, mais on ne sait pas éliminer ce réservoir sans modifier la flore muqueuse normale.
Fischetti et coll. ont cherché à exploiter l'effet destructeur du phage sur son hôte bactérien. Ce petit virus infecte la bactérie, s'y réplique puis s'échappe en détruisant la paroi bactérienne grâce à une enzyme lytique. Ensuite, il infecte d'autres bactéries. L'équipe a eu l'ingénieuse idée d'utiliser cette enzyme meurtrière. Elle a constaté que cette enzyme, qui agit normalement de l'intérieur de la bactérie, agit aussi lorsqu'elle est appliquée à l'extérieur.
L'exemple de l'angine streptococcique
En février, cette équipe a isolé l'enzyme du phage du streptocoque du groupe A, responsable de l'angine streptococcique. Ils ont réussi, avec cette enzyme, à éradiquer la colonisation streptococcique pharyngée chez la souris (« Proc Natl Acad Sci USA », 2001, Nelson et coll.). Des essais cliniques de pulvérisation buccale de cette enzyme sont en projet afin de prévenir l'angine streptococcique.
Loeffler, Fischetti et coll. publient maintenant dans « Science » leurs travaux sur l'enzyme lytique Pal du bactériophage pneumococcique. Elle est capable, in vitro, de tuer en quelques secondes 15 sérotypes courants de pneumocoque, y compris les souches résistantes à la pénicilline. Chez la souris, un seul traitement par Pal dans le naso-pharynx élimine complètement la colonisation nasale par S. pneumoniae (sérotype 14). Pal n'affecte pas la flore microbienne normale de l'oro-pharynx de l'homme. Par ailleurs, les pneumocoques ne deviennent pas résistants à l'enzyme, malgré des expositions répétées à de faibles concentrations enzymatiques. Il est possible que, durant des millions d'années, pour éviter que le phage reste emprisonné dans l'hôte, l'enzyme ait évolué pour cibler une molécule unique, essentielle et peu mutable, dans la paroi de la bactérie.
Ce traitement enzymatique, très ciblé dans son effet destructeur, devrait être associé à peu d'effets secondaires. L'équipe projette maintenant d'effectuer des essais cliniques.
Notons que ces enzymes tuent les bactéries attachées à la surface des cellules, mais probablement pas celles qui ont infecté les cellules car elles sont trop grosses pour pénétrer dans les cellules, à la différence des antibiotiques.
Puisque des bactériophages ont été décrits pour la majorité des bactéries, cette approche ciblée pourrait être appliquée à d'autres bactéries qui colonisent les muqueuses.
« Science » du 7 décembre 2001, p. 2170.
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