De notre correspondante
à New York
Streptococcus mutans est le principal agent pathogène impliqué dans le développement des caries, par le biais de production d'acide lactique. Un des deux facteurs de virulence qui participent à la colonisation de cette bactérie dans la cavité buccale est l'antigène de surface SAI/II (Streptococcal Antigen I/II), une adhésine qui se lie à la salive.
L'immunothérapie passive locale peut empêcher la colonisation par S. mutans. Ainsi, lorsqu'un anticorps monoclonal IgG1 de la souris (GUY's 13) dirigé contre l'antigène streptococcique SAI/II de S. mutans est appliqué sur les dents des singes ou de l'homme, la colonisation bactérienne streptococcique est considérablement réduite.
Un anticorps contre S. mutans
Une équipe européenne, dirigée par un chercheur suédois, le Dr Lennart Hammarström de l'institut Karolinska à l'hôpital Huddinge (Suède), a cherché à savoir si le lactobacille pouvait être utilisé pour délivrer une immunothérapie passive, autrement dit s'il pouvait être altéré génétiquement pour produire un anticorps contre le S. mutans et le produire sur une période suffisamment longue.
Les lactobacilles sont des bactéries considérées comme sans danger pour l'homme. Elles sont utilisées depuis des siècles pour la fermentation et la préservation des aliments, et certaines souches sont des composants normaux de la flore intestinale de l'homme. Certaines souches de Lactobacillus(casei et plantarum) exercent en outre des effets adjuvants puissants sur la réponse immune systémique et muqueuse. De plus, les lactobacilles ont déjà été utilisés pour délivrer des antigènes dans le cadre d'une immunisation active in vivo.
L'équipe a introduit dans une souche de lactobacille (L. zeae) un vecteur contenant le gène d'un fragment (scFv pour single-chain Fv) de l'anticorps Guy's 13, qui reconnaît l'antigène streptococcique SAI/II de S. mutans.
Ce lactobacille génétiquement modifié, comme l'ont constaté les chercheurs, exprime non seulement à sa surface, mais secrète aussi les fragments anticorps scFv qui, comme voulu, se fixent à l'antigène streptococcique SAI/II. Ils ont alors étudié chez le rat l'efficacité thérapeutique de ce Lactobacillus produisant des anticorps.
Des rats privés de salivation
Plusieurs rats enclins aux caries dentaires, par suite de privation chirurgicale de la salivation, ont été infectés avec la bactérie néfaste S. mutans, puis ils ont été traités tous les jours avec une eau contenant le Lactobacillus transformé producteur d'anticorps.
Comparés aux rats qui n'ont reçu que le Lactobacillus normal, ceux qui sont traités par le Lactobacillus producteur d'anticorps présentent une réduction considérable du nombre des colonies streptococciques (S. mutans) - 9 au lieu de 2 900 -, et leur risque de caries est nettement atténué - 1 rat sur 7 présente des caries (14 %), au lieu de 4 rats sur 6 (64 %).
Les chercheurs ont aussi montré dans une expérience que, tandis que l'anticorps administré seul disparaît rapidement de la bouche, le lactobacille transformé est capable de persister longtemps dans la bouche (tout le temps pendant une administration quasi quotidienne pendant deux semaines, et au moins une semaine encore après l'arrêt de cette administration).
Persistance dans la bouche
« Cette approche pourrait être d'un intérêt commercial énorme pour l'immunothérapie in vivo », concluent les chercheurs. « La longue persistance des lactobacilles transformés dans la cavité buccale et leur efficacité thérapeutique suggèrent que cela pourrait être une future approche thérapeutique viable, soit de façon prophylactique, soit de façon thérapeutique », ajoutent-ils. « Ce travail est le premier à montrer que les fragments d'anticorps peuvent être produits par les lactobacilles », soulignent-ils.
« Nature Biotechnology », 28 juin 2002.
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