Prise en charge des sans-abri

Confusion autour des tentes de la honte

Publié le 19/12/2006
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UN AN ET QUATRE CENTS TENTES distribuées plus tard, l’ambition de Médecins du monde est en partie couronnée de succès : parsemer la capitale d’autant de balises de détresse, arrêtant à tous les coins de rue le regard des passants et des automobilistes, pour donner de la visibilité au scandale des personnes à la rue. Et forcer les pouvoirs publics à chercher des solutions d’hébergement durable. L’été dernier, alors que les igloos blancs siglés MDM installés sur les quais de Seine compromettaient l’alignement des parasols de Paris-Plage, Catherine Vautrin, ministre déléguée à la Cohésion sociale et à la Parité, annonçait en plein mois d’août la création des 1 100 places d’hébergement que préconisait la médiatrice de la mission tentes ; le mois dernier, la ministre embrayait dans le sens des préconisations de Médecins du monde en reconnaissant enfin la nécessité d’une approche qualitative de la question, une approche qui prend en compte la diversité des besoins personnels, au-delà d’une logique cantonnée aux hébergements d’urgence.

Evacuation, confiscation et destruction de tentes.

Ces annonces n’ont cependant pas fait décamper les campeurs des rues et même MDM n’a pas suspendu la distribution de ses tentes. Du coup, les pouvoirs publics ont engagé d’autres types d’action, en faisant évacuer et détruire, le 20 novembre, les tentes installées dans le square de la place de la République, à Paris. Malgré les protestations des associations qui demandent l’arrêt immédiat des déplacements de tentes sans solution d’hébergement adaptée puis de proposition de logement, la police évacuait avant-hier une vingtaine de sans-abri installés dans des tentes sur le quai de la Gare, près de la gare d’Austerlitz, à Paris (XIIIe).

L’intervention immédiate de Graciella Robert, chef de la mission SDF de Médecins du monde, ayant fait obstacle à la confiscation et à la destruction des tentes, les habitants du « village de toile », qui s’étaient regroupés par affinité sur le quai, ont pu se réinstaller quelques heures plus tard non loin de là, sous le pont Charles-de-Gaulle, assurant qu’ils n’en bougeraient pas tant que ne leur serait pas proposée une solution de logement. «On demande simplement un toit et un travail, comme tout citoyen, explique l’un d’eux, ancien logisticien licencié, qui perçoit le RMI. La société nous a mis sur le bas-côté de la route, c’est à elle de nous en sortir.»

«L’installation des tentes à Paris continue manifestement de déranger, observe Graciella Robert, mais le vrai scandale, ce ne sont pas les tentes, c’est l’absence de logements adaptés.» Un mouvement de contestation civile s’organise. De nouvelles associations, tels les Enfants de Don Quichotte, distribuent à leur tour des tentes, par exemple quai de Jemmapes, dans le 10e arrondissement de Paris, où on en dénombrait lundi une centaine. Des « bien-logés » viennent y passer la nuit pour marquer leur solidarité avec les sans-abri et des personnalités font le déplacement en signe de soutien : le comédien Jean Rochefort, la nouvelle secrétaire nationale des Verts, Cécile Duflot, et son prédécesseur à ce poste et maintenant porte-parole, Yann Wehrling, qui ont bivouaqué l’un et l’autre sous la tente dans la nuit de lundi à mardi. La crainte de se retrouver un jour sans toit pénètre des couches de plus en plus larges de la société et contribue à mobiliser largement l’opinion ; un récent sondage (BVA/Association Emmaüs) révélait que 48 % des personnes interrogées pensent qu’elles peuvent devenir un jour sans-abri. Cette crainte monte à 62 % chez les 35-49 ans, à 74 % chez les ouvriers. Et les Français ne sont que 17 % à estimer qu’être sans-abri «ne leur arrivera jamais».

De ce point de vue, l’initiative de MDM, qui, en plus de fournir une protection contre les intempéries aux personnes à la rue, avec une forme d’intimité, vise à donner de la visibilité à la situation des exclus, atteint son objectif. «Sur le fond, nous ne saurions bien sûr désavouer tout ce qui contribue à une prise de conscience collective, déclare le Dr Pierre Micheletti, président de MDM, tout en rappelant que son association «couple systématiquement la distribution de tentes avec une prise en charge sociale et médicale». De fait, les données épidémiologiques collectées par les 200 membres de la mission SDF font ressortir que les personnes qui reçoivent une tente présentent pour 50 % d’entre elles des problèmes de santé (alcoolisme, problèmes pulmonaires, dentaires, psychiatriques). Quarante-huit pour cent ne bénéficient pas de protection sociale et 63 % déclarent ne pas être en mesure de se soigner.

«Nous ne comprenons pas l’incohérence des actions ministérielles, confie au “Quotidien” le Dr Micheletti ; après avoir annoncé des mesures qui vont dans le bon sens, le gouvernement a choisi, lors de l’entrée symbolique dans l’hiver, d’engager une stratégie musclée que nous ne pouvons que déplorer.»

Dans ces conditions, MDM continue de distribuer ses tentes à la demande des riverains qui signalent les personnes en situation de détresse dans la rue, faute d’hébergement durable. L’association suit avec vigilance les conditions d’application des mesures annoncées par Catherine Vautrin et demande la réunion d’une table ronde pour mettre à plat la question du droit au logement.

La semaine dernière, avant l’arrivée du froid hivernal, deux hommes ont succombé des suites d’hypothermie, l’un à Créteil (Val-de-Marne), l’autre à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), chacun sous sa tente.

> CHRISTIAN DELAHAYE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8076