Qui négocie et sur quoi ?
La rencontre prévue aujourd'hui, à 17 h 30, avenue du Maine, à Paris, au siège de la Caisse nationale d'assurance-maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), réunira, du côté de la Sécurité sociale, outre la CNAMTS, la Mutualité sociale agricole et la Caisse nationale d'assurance-maladie des travailleurs indépendants et, du côté des médecins, la CSMF (dont la délégation devrait comporter un représentant de la Coordination nationale des médecins généralistes), MG-France, le Syndicat des médecins libéraux (SML), la Fédération des médecins de France (FMF) et l'Union collégiale des chirurgiens et spécialistes français (UCCSF).
La négociation, qui vise à mettre un terme au conflit qui a commencé le 15 novembre dernier, portera à la fois sur les revalorisations d'honoraires et sur les contreparties qu'exige la CNAM.
Que demandent les syndicats ?
Pour la CSMF et le SML, qui ont pris l'initiative de lancer le 15 novembre dernier le mouvement de grève des gardes de nuit et de week-end des généralistes, mouvement qui se poursuit aujourd'hui encore, les revendications sont claires. Ils entendent obtenir l'application immédiate du C à 20 euros. Le texte permettant l'entrée en vigueur de cette revalorisation doit être publié au « Journal officiel » avant le premier tour des législatives, exige le Dr Chassang, président de la CSMF. Ils veulent aussi « l'annonce de la visite à 30 euros avec remboursement si celle-ci est justifiée », formule qui laisse supposer qu'ils sont prêts à accepter une application différée de cette revalorisation d'honoraires, à condition que le principe en soit admis dès la réunion d'aujourd'hui. Ils exigent la levée de toutes les sanctions qu'ont fait peser certaines caisses primaires sur les médecins, notamment sur ceux d'entre eux qui ont décidé, de manière unilatérale, de facturer leur consultation 20 euros. A l'heure actuelle, 40 % des consultations de généralistes seraient tarifées 20 euros.
La FMF essaiera sans doute de mettre en avant, lors de cette réunion, sa vieille revendication sur la possibilité pour tous les médecins qui le souhaitent d'opter pour le secteur II, c'est-à-dire pour la liberté tarifaire.
Le syndicat MG-France, qui avait négocié avec l'assurance-maladie le protocole d'accord du 24 janvier (texte qui a notamment porté la valeur de la consultation du généraliste de 17,53 à 18,5 euros), se situe dans une logique un peu différente. Tout en demandant le C à 20 euros (sous la pression d'une partie de sa base qui avait contesté l'accord du 24 janvier), MG-France insiste sur les évolutions, nécessaires à ses yeux, du métier et du statut des généralistes. Le Syndicat des généralistes plaide pour « l'évolution des modes de rémunération » avec un recours plus fréquent au paiement forfaitaire et reconnaît que les médecins devront accepter des contreparties à une hausse des honoraires. Le syndicat du Dr Costes estime enfin qu'il ne saurait y avoir une convention unique concernant à la fois les généralistes et les spécialistes alors que la CSMF est très attachée à un texte unique. Le président de la CNAM, Jean-Marie Spaeth, n'accorde pas, quant à lui, une importance excessive à ce problème.
Que demandent les caisses ?
Les caisses d'assurance-maladie ont pendant longtemps jugé irréalistes les revendications tarifaires des médecins, affirmant notamment qu'elles n'avaient pas les moyens de les financer. La vigueur et la durée du mouvement de protestation des généralistes et les pressions du gouvernement Raffarin en faveur du C à 2O euros - que Jacques Chirac et Jean-François Mattei ont jugé légitimes - ont obligé Jean-Marie Spaeth à aller à Canossa. Néanmoins, le président de la CNAMTS et la Mutualité sociale agricole (MSA) exigent des contreparties à une augmentation tarifaire. Contreparties qui doivent être « significatives » et « concomitantes ». Autrement dit, pas question pour l'assurance-maladie d'accepter des hausses d'honoraires en échange de mesures dont les modalités et l'ampleur seraient renvoyées à des négociations ultérieures à l'issue aléatoire. Jean-Marie Spaeth exige des « engagements individuels » des médecins, dans le cadre d'un accord collectif. Engagements individuels qui pourraient porter notamment sur la prescription des génériques (les médecins généralistes référents doivent déjà prescrire un certain pourcentage de génériques) et sur une meilleure prescription des antibiotiques. Jean-Marie Spaeth estime que si l'on ne prescrivait des antibiotiques que là où ils sont « nécessaires, nous économiserions 100 millions d'euros ». Sur Europe 1, il a également ajouté que, « si on prescrivait les 30 premières molécules sur les 200 génériques qui existent, c'est l'équivalent de la revalorisation de la consultation à 20 euros qui serait économisé ».
Un accord est-il possible ?
Jusqu'à mercredi dernier un accord rapide semblait très probable, voire même quasi certain. La volonté du gouvernement de parvenir à une sortie de crise militait en ce sens. Les choses paraissaient bien engagées : les responsables des caisses d'assurance-maladie et des syndicats médicaux s'étaient discrètement réunis pour préparer la rencontre de cet après-midi. Les grandes lignes d'un accord comportant la revalorisation des honoraires avec application immédiate du C à 20 euros et l'arrêt des sanctions contre les généralistes faisant déjà payer leur consultation 20 euros avaient été esquissés. Mais les déclarations de Jean-Marie Spaeth, jeudi matin, sur Europe 1 ont mis le feu aux poudres. La volonté du président de la CNAM d'obtenir des engagements individuels des médecins en matière de prescriptions a été jugée inadmissible par les syndicats de praticiens qui estiment qu'il s'agit là d'un retour à la logique du plan Juppé. « Il nous propose des contrats individuels introduisant des quotas de prescriptions de génériques », s'est insurgé le Dr Michel Chassang, président de la CSMF, pour qui « c'est un mélange de la maîtrise comptable du plan Juppé et de l'option médecins référents qui sont pour nous deux casus belli ». Et Michel Chassang d'ajouter que Jean-Marie Spaeth « met tout en uvre pour qu'il n'y ait pas d'accord ».
Même réaction indignée au SML. En outre, les incidents de Bayonne, au cours desquels cinq médecins et trois policiers ont été blessés lors d'une manifestation de praticiens devant la caisse primaire d'assurance-maladie, ont fait monter la tension et provoqué des réactions indignées du monde médical. Dans ces conditions, l'issue de la rencontre de ce soir est beaucoup plus incertaine. Jean-Claude Mallet, qui représente FO à la CNAM, ne cache pas son pessimisme.
En cas d'accord, il y aurait une augmentation rapide du C à 20 euros. En revanche, le V à 30 euros est une revendication qui pose davantage de problèmes (voir ci-dessous).
Quelle forme l'accord peut-il prendre ?
Théoriquement, la hausse des honoraires, pour être effective rapidement, ne peut se faire que par un avenant tarifaire à l'actuelle convention des généralistes, avenant qui doit être publié au « Journal officiel ». Mais cette convention a été ratifiée seulement par MG-France. C'est donc ce syndicat - et lui seul - qui, juridiquement, peut signer l'avenant sur le C à 20 euros. La CSMF rejette cette procédure, d'une part, parce qu'elle a toujours été opposée à l'actuelle convention des généralistes et, d'autre part, parce qu'elle ne veut pas que MG-France puisse apparaître comme l'artisan de la hausse des honoraires, alors que ce sont la CSMF et le SML qui ont engagé la bataille pour le C à 20 euros. Cependant, ces questions de procédure ne devraient pas constituer un obstacle insurmontable.
Que peuvent espérer les spécialistes ?
Les revalorisations d'honoraires pour les spécialistes du secteur I devraient, dans un premier temps, être limitées à l'entrée en vigueur d'accords conclus sous le gouvernement Jospin mais pas encore publiés. Jean-François Mattei s'est engagé à faire paraître ces textes rapidement. Les revalorisations en question concernent certains actes des pédiatres, anesthésistes-réanimateurs et gynécologues-obstétriciens. Ils concernent aussi les actes de radiothérapie (avec une hausse moyenne de 16 % des tarifs) et la lettre clé B, qui sert à tarifer les examens de biologie et dont le tarif devait passer de 0,26 à 0,27 euro. Les pédiatres dont les revenus sont inférieurs à ceux des généralistes ont engagé des discussions avec l'assurance-maladie qui devraient se poursuivre cette semaine. Jean-François Mattei semble, pour sa part, convaincu de la nécessité de revaloriser les honoraires des pédiatres.
Surtout, les spécialistes libéraux, qui exercent en secteur I (62 % de l'ensemble des spécialistes), ne devraient plus être pénalisés par les majorations de charges sociales qui leur sont actuellement imposées dans le cadre du règlement minimal conventionnel (puisque les spécialistes n'ont pas signé de convention stricto sensu avec l'assurance-maladie).
Les caisses avaient proposé au gouvernement de suspendre ces majorations de charges (qui représentent plus de 2 000 euros par an et par médecin en moyenne) au moins jusqu'à la fin de l'année. Dans un entretien avec « le Parisien », Jean-François Mattei a donné son accord. Cette mesure pourrait s'appliquer rapidement.
Quelles seraient les conséquences financières des revalorisations tarifaires ?
Pour l'assurance-maladie, l'augmentation de 18,5 à 20 euros de la consultation du généraliste représenterait un surcoût, en année pleine, de 255 millions d'euros, selon les chiffres de la CNAM. Pour les généralistes, cela représenterait 345 millions d'honoraires supplémentaires, soit 5 800 euros de recettes supplémentaires en moyenne par praticien.
La CNAM évalue à 730 millions le surcoût pour l'assurance-maladie du passage de la visite à 30 euros. Ces chiffre sont cependant contestés par les syndicats qui affirment notamment que, si l'assurance-maladie ne remboursait que les visites médicalement justifiées, le coût serait nul.
La suspension du règlement minimal conventionnel pour les spécialistes du secteur I représente pour la Sécurité sociale un coût supplémentaire de 80 millions d'euros en année pleine. L'augmentation des tarifs des biologistes aurait un impact financier de 88 millions d'euros.
En ce qui concerne les mutuelles, la hausse de la consultation à 20 euros représenterait un surcoût annuel de 46 millions d'euros, selon la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF). Pour Jean-Pierre Davant, président de la FNMF, cette mesure va avoir un « impact » sur les cotisations des mutuelles.
Peut-on compenser les hausses d'honoraires par des économies ?
Jean-Marie Spaeth souhaite que les conséquences financières des hausses d'honoraires soient compensées par des économies dans d'autres domaines.
« Ces revalorisations doivent se faire de façon économiquement neutre pour les assurés sociaux », a-t-il réaffirmé à Europe 1. Pour cela, il mise - on l'a vu - sur des engagements individuels des médecins à prescrire plus de génériques et à réduire leurs prescriptions d'antibiotiques. La prescription de génériques représente à l'heure actuelle, selon le Comité économique du médicament, 6,7 % du volume total du marché des médicaments remboursables en ville et 3,1 % du chiffre d'affaires hors taxe réalisé sur ce marché (contre 2,7 % en 2000). Ce marché est en progression, mais la part des génériques reste inférieure à ce qu'elle est dans d'autres pays européens. Le souhait de Jean-Marie Spaeth relève cependant du pari. Les revalorisations tarifaires auront un impact immédiat sur les finances déjà mal en point de l'assurance-maladie alors que le développement des génériques, les éventuels engagements à en prescrire davantage ne feront sentir leurs effets qu'à terme. La mise en place de guides de bonnes pratiques - système qu'approuvent les syndicats médicaux - prendra elle aussi du temps, en admettant d'ailleurs que l'assurance-maladie ait les moyens statistiques de vérifier le respect de ces bonnes pratiques. En attendant, l'assurance-maladie s'enfonce dans le rouge et son déficit devrait avoisiner les 5 milliards d'euros en 2002.
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