Impotence fonctionnelle totale
Mme G., 95 ans, souffre depuis quarante-huit heures de douleurs dorsales intenses responsables d'une impotence fonctionnelle totale.
L'examen clinique note une douleur exquise lors de la palpation des dernières vertèbres dorsales associée à une mobilisation thoracique quasiment impossible. A quel diagnostic faut-il penser ?
Parmi ses antécédents, Mme G. a une néoplasie sigmoïdienne traitée chirurgicalement il y a trois ans avec un suivi semestriel effectué le mois précédent satisfaisant ; un purpura thrombopénique sévère traité par corticothérapie (prednisone 20 mg/j) depuis vingt-quatre mois ; une insuffisance cardiaque pour laquelle un traitement associant diurétique, antiarythmique et IEC a été prescrit.
Question 1
Compte tenu de ces différents éléments, quelle attitude adopter ?
1) Effectuer une radiographie du rachis dorsolombaire ;
2) l'envoyer chez son cancérologue ;
3) prévoir un bilan biologique.
Réponse : 1
L'analyse de cette situation fait penser en priorité à un tassement vertébral ostéoporotique secondaire à la prise de corticoïdes.
Plusieurs facteurs contribuent à évoquer ce diagnostic : la dose de corticoïdes administrée, la durée du traitement, le sexe et l'âge de la patiente.
Le cancer colo-rectal peut donner des métastases osseuses, mais son extension par voie lymphatique s'effectue prioritairement vers le foie et le poumon.
Une radiographie du rachis dorso-lombaire est effectuée et permet d'objectiver un tassement d'allure ostéoporotique des vertèbres T10 et T12 associé à une arthrose du rachis lombaire (clichés).
Question 2
Quelle erreur a été commise dans notre situation ?
Ne pas administrer à titre préventif un traitement en association à la corticothérapie pour éviter une ostéoporose secondaire.
La réalisation d'une absorptiométrie à rayon X destinée à évaluer le statut osseux de la patiente avant la corticothérapie se discute. En fait, compte tenu de l'âge de cette dernière, nous nous sommes abstenus, ce qui n'aurait pas dû être le cas chez une femme plus jeune.
Ostéoporose induite par les corticoïdes
L'ostéoporose cortisonique est la première complication de la corticothérapie au long cours, la première cause d'ostéoporose secondaire, et la première cause d'ostéoporose chez les personnes de 20 à 45 ans.
L'effet délétère de la cortisone est établi pour des doses d'équivalent en prednisone de 7 mg/j environ.
L'os trabéculaire du squelette axial et de la partie proximale du fémur est tout particulièrement sensible à l'influence néfaste des corticoïdes. Au niveau du rachis lombaire, cette perte peut être de 4 à 8 % à la fin de la première année de traitement (alors qu'elle est de 1 à 2 % après la ménopause).
Il est difficile d'établir la gravité induite par cette ostéoporose pour un individu, et cela malgré la durée du traitement et la dose. En effet, de nombreux facteurs interfèrent pour modifier, dans un sens ou un autre, la morbidité de cette ostéoporose (la sédentarité et l'alimentation notamment). Par ailleurs, plus la densité minérale osseuse est basse au début du traitement, plus le risque ostéoporotique induit par la prise de corticoïdes est grand.
Question 2
Quels sont les « tissus cibles » concernés par l'ostéoporose cortisonique ?
1) L'os,
2) le foie,
3) le muscle,
4) l'intestin,
5) autre.
Réponse : 1-3-4-5
L'action osseuse est bien entendu évidente. Elle se caractérise par une réduction de l'activité ostéoblastique et une augmentation de la résorption osseuse.
Au niveau musculaire, une amyotrophie générant une réduction de la mobilisation favorise également une diminution de la formation osseuse ainsi qu'une accentuation de la résorption.
L'action sur l'intestin favorise une réduction de l'absorption calcique.
Parmi les autres tissus cibles, il est important de noter l'action sur les gonades. En effet, l'ostéoporose cortisonique diminue la production des hormones gonadiques, favorisant ainsi la résorption osseuse.
Deux autres tissus sont également concernés, mais l'action de la cortisone est mal définie (quantitativement ou qualitativement) à ce niveau :
- les parathyroïdes, au sein desquelles la PTH serait sécrétée en plus grande quantité par le biais d'un hyperparathyroïdisme secondaire (non retrouvé au niveau biologique) ;
- le rein, au niveau duquel on note une diminution de la réabsorption tubulaire du Ca++ ; action médiée par les parathyroïdes.
Diagnostic clinique
Le tassement vertébral est la manifestation la plus fréquente : un tiers des patients après cinq ans de traitement ont un tassement vertébral. Ces derniers sont parfois très douloureux du fait de la rapidité de leur constitution obligeant l'alitement.
Les autres fractures secondaires à cette ostéoporose cortisonique sont localisées aux côtes, au bassin (branche ilio et ischio-pubienne, plus rarement le sacrum) et sur les os porteurs (col fémoral, plateau tibial, extrémité du tibia, calcanéum).
Cinquante pour cent des patients traités au long cours souffrent d'une ostéoporose fracturaire.
Traitement préventif de l'ostéoporose cortisonique
Ce traitement passe d'abord par l'utilisation de mesures générales, comme la supplémentation en calcium et en vitamine D, un apport protéique suffisant, ainsi qu'un exercice physique régulier.
L'utilisation de traitements comme les bisphosphonates s'impose également, car ils inhibent l'ostéorésorption et augmentent la densité osseuse. Ces traitements doivent être mis en place chez toute personne ayant 5 mg/j d'équivalent prednisone et dont le traitement doit être maintenu au-delà de trois mois.
Bibliographie
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