Éditorial

Concurrence

Publié le 28/11/2014
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« Nous sommes l’otage d’une situation créée par d’autres… » Pas content du tout, Eric May, chef de file des médecins des centres de santé, s’est résolu, la semaine dernière, à taper du poing sur la table. Motif de son ire : l’injustice faite aux anciens dispensaires, victimes collatérales de l’échec des négos entre la Cnamts et les syndicats qui bloque toute évolution de leur rémunération… Ce coup de gueule n’empêchera sans doute pas de dormir vos représentants. Et pourtant… Il est sans doute révélateur d’un changement d’époque : la médecine salariée, longtemps discrète, est bien décidée désormais à avoir voix au chapitre et à s’y faire entendre.

Ces dernières années au moins trois facteurs lui ont permis de sortir du ghetto dans lequel elle était cantonnée. À commencer par la crise de la démographie médicale qui a amené certains élus – à gauche comme à droite – à créer leur centre de santé, faute d’avoir trouvé des candidatures idoines chez les libéraux. De leur côté, les médecins de ville ont eux aussi changé. À la différence des années 80, ils n’ont plus peur de la concurrence ; et la frange la plus jeune de la profession succomberait même volontiers aux sirènes du salariat. Enfin, dernier coup de pouce du destin : l’engouement récent pour la pluridisciplinarité sur laquelle ces structures associatives ou municipales sont depuis longtemps assises.

Dans ces conditions, on ne s’étonnera guère que le « pacte territoire santé » de Marisol Touraine ait placé en bonne place les centres de santé comme instrument de reconquête du territoire. D’aucuns voudraient désormais aller plus loin, en faisant jouer les premiers rôles à ces structures de médecine salariée. De ce point de vue, l’ouvrage du géographe Emmanuel Vigneron fait cette semaine l’effet d’un pavé dans la mare (déjà agitée) des soins ambulatoires. L’auteur réclame rien moins que la création de 400 centres de santé dans les zones les moins médicalisées. Et il ne lance pas cette piste à la légère puisqu’il a déjà prévu l’implantation précise de chacun ! Certes, ce n’est en rien un rapport officiel. L’initiative est néanmoins parrainée par la Fehap, importante fédération d’établissements privés non lucratifs et intervient un peu plus d’un an après un rapport de l’IGAS archi-favorable au secteur. Autant dire que dans le bras de fer qui les oppose au gouvernement, les syndicats de médecins libéraux doivent tenir compte de ces acteurs, qui pourraient demain constituer une alternative sérieuse pour les pouvoirs publics si le climat tournait à l’orage.

Jean Paillard, directeur de la rédaction

Source : Le Généraliste: 2700