Déconvenue, lassitude et colère. Tels sont les sentiments qui dominent chez les principaux responsables des organisations de médecins de ville, après les déclarations d'Elisabeth Guigou devant la commission des comptes de la Sécurité sociale (« le Quotidien » du 24 septembre).
Les syndicats médicaux attendaient, à l'occasion de la présentation des grandes lignes du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2002) par la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, un déclic ou au moins un geste d'ouverture en direction du corps médical (après deux « Grenelle de la santé » jugés décevants). Ils en sont pour leurs frais. Elisabeth Guigou a repoussé l'annonce de la mise en place d'un nouveau mode de régulation des soins de ville et, en attendant mieux, a maintenu le système de maîtrise actuel honni par la profession, qui permet d'ajuster périodiquement les tarifs des actes médicaux et paramédicaux. Certes, un document d'orientation sur les soins de ville, prélude à une nouvelle concertation, sera rendu public dans quelques jours. Mais pour quelles mesures concrètes ? Et quand ?
Illusion
Echaudés, certains responsables syndicaux estiment qu'il n'y a plus rien à attendre du PLFSS 2002, qui sera examiné à l'Assemblée nationale le 23 octobre en première lecture. Le Dr Dinorino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux (SML), n'a « aucune illusion » sur le projet de loi. Le Dr Claude Maffioli, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), craint qu'il n'y ait « pas de volonté politique » pour mettre en place la seule alternative possible que constitue, pour lui, la maîtrise médicalisée.
Seul MG-France constate « quelques décisions, annonces ou confirmations », notamment sur le droit de prescrire en DCI, la prévention dentaire améliorée ou encore la poursuite du tiers payant, même après la perte de la CMU. Fidèle à sa ligne, le syndicat de généralistes insiste sur la nécessité de renégocier « le périmètre et les termes » du conventionnement dans le domaine ambulatoire.
Pour le reste, les leaders syndicaux dénoncent le mépris du gouvernement pour les questions relatives aux professionnels de santé libéraux, contrairement à l'attention qu'il porte au secteur hospitalier public, beaucoup plus exposé sur le plan médiatique. Pour le Dr Jean-Gabriel Brun, président de l'Union collégiale des chirurgiens et spécialistes français (UCCSF), le gouvernement a créé les conditions d'une « concurrence déloyale » entre les hôpitaux publics et les établissements privés qui va conduire les cliniques à « d'énormes tensions et des confrontations violentes ».
Seul le Dr Jean Gras, président de la Fédération des médecins de France (FMF), veut croire encore que le PLFSS contiendra des mesures positives pour les médecins. « Je ne peux imaginer, explique-t-il , que le gouvernement et la majorité actuelle ne saisissent pas cette occasion, à la veille de l'élection présidentielle, pour aller vers les professionnels de santé. »« J'espère, ajoute-t-il , que l'indécision actuelle est le présage d'arbitrages politiques. »
Cacophonie
La présentation par Elisabeth Guigou de la situation comptable du régime général n'est pas mieux accueillie par les syndicats qui dénoncent, et c'est un euphémisme, le manque de transparence de ces chiffres. « Avec une présentation en euros, en droits constatés et sur trois ans, on n'est pas loin de la manipulation! », s'emporte le Dr Gras. La participation de la Sécu au financement de la réduction du temps de travail renforce le sentiment de cacophonie totale. Pour le Dr Brun, les comptes du régime général sont aujourd'hui « totalement opaques ». « J'ai fait analyser ces comptes par un matheux, il est affolé... », ajoute-t-il. Du côté de MG-France, on observe sobrement que « la discussion sur les modalités de réintégration des avances faites par la Sécurité sociale pour le financement des 35 heures (...) n'est pas pour éclaircir l'analyse ».
Quant au nouvel objectif national des dépenses d'assurance -maladie (ONDAM) retenu pour 2002 (+ 3,8 % dont 3 milliards pour le financement de la réduction du temps de travail dans les hôpitaux), il provoque les mêmes réserves. « Je suis à ce jour incapable de m'exprimer sur ce chiffre ou sur les précédents, car la position du gouvernement relève d'une logique budgétaire », martèle le Dr Maffioli. « Cet objectif est tout simplement pifométrique », renchérit le Dr Cabrera qui regrette « l'absence de revalorisations et de mesures structurelles ». Pour le Dr Gras, de toute façon, l'ONDAM est « uniquement théorique ». Ce n'est pas faux : l'objectif 2000 a été dépassé de 17,3 milliards de francs et celui fixé pour 2001 devrait l'être de 15,8 milliards de francs. Depuis deux ans (bientôt trois), les parlementaires votent donc une enveloppe de dépenses en décalage complet avec la réalité. Et dont personne ne connaît l'affectation précise. MG-France ne s'y trompe pas : le syndicat de généralistes réclame des « investissements de plusieurs milliards à réaliser hors ONDAM tant pour la permanence des soins que la coordination des acteurs libéraux ».
La désillusion des syndicats pourrait se transformer en appel à la mobilisation. Pour le Dr Brun, un mouvement de grève de certaines cliniques n'est pas à exclure à court terme. Le Dr Cabrera estime, quant à lui, que le contexte international dramatique ne permet pas, pour l'instant, de mobiliser le corps médical. Mais il souhaite « s'engouffrer » dans les campagnes électorales à venir et « forcer les politiques » à se déterminer. Pour que, « le moment venu », la santé redevienne « un débat de société ».
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature