IL Y A DEUX ANS, l’association Respavie, réseau de soins palliatifs et d’accompagnement en fin de vie créé en 1999*, a lancé ses journées de réflexion en abordant le thème de l’art à la rencontre de l’amour. Pour sa 2e édition, l’équipe a persévéré dans son choix de l’art comme canal d’entrée à une réflexion, mais cette fois-ci pour graviter autour de la douleur.
«La douleur, pour nous être familière et faire partie de notre être, n’en demeure pas moins un mystère dont l’expression fascine autant qu’elle effraie, souligne le Dr Jean-Joseph Ferron, généraliste et membre de l’équipe de coordination, dans le programme de la journée. A- t-elle un sens? Quelles significations pouvons-nous lui conférer? La multiplicité des oeuvres qui lui sont consacrées manifeste l’intérêt des artistes pour la douleur. Peuvent-ils nous aider à mieux l’appréhender?»
C’est sur ces interrogations que de nombreux professionnels, dont un tiers de médecins libéraux, se sont déplacés. Courageux. Parce que si le programme de la matinée était consacré à une approche sensible du sujet à travers la présentation d’oeuvres par une historienne de l’art, Christelle Nouviale, et l’intervention d’un metteur en scène de théâtre, Michel Valmer, l’après-midi était plus ardue en proposant cette fois-ci une réflexion anthropologique et philosophique sur les liens complexes et paradoxaux qui unissent l’art et la douleur.
La tentation des sportifs.
Après l’intervention du Dr Stéphanie Dutertre, praticien hospitalier à l’hôpital Laennec (Nantes) et anthropologue, qui a parlé de « l’art médical », du retour en force des sciences dites « molles », telles que les sciences humaines, dans les formations des soignants, en particulier dans le domaine de la prise en charge de la douleur et des soins palliatifs, on retiendra la conférence de Stéphane Heas, socio-anthropologue à l’université de Rennes, sur la douleur dans le sport, un art largement promu et partagé dans notre société. «La douleur est essentielle chez le sportif, explique-t-il. Elle est tellement valorisée qu’elle en devient acceptable.»
A tel point que le socio-anthropologue s’étonne d’entendre des sportifs polytraumatisés en rééducation glorifier encore leur sport après une expérience malheureuse. «On peut en voir certains suivre une rééducation au forceps.» L’acceptation de la douleur, voire sa valorisation, Stéphane Heas la constate également chez les sportifs tatoués. Ces tatouages ne sont pas là une expression esthétique (il suffit de voir, par exemple, ceux qu’arbore le footballeur Beckham pour en noter le caractère très ordinaire), mais la marque d’une pratique initiatique. « Il faut se faire mal et prouver son appartenance à un milieu extrêmement viril, souligne le chercheur. Dans certaines disciplines, comme l’ultimate fight , où on se tape dessus, un sur deux est tatoué!»
Mais ces pratiques ne concernent pas seulement une minorité de sportifs. C’est ce qui inquiète Stéphane Heas : «Il y a trente ans, endurer le mal était une chose acceptée pour la classe ouvrière. Aujourd’hui, c’est devenu une norme.»
Le sport aurait-il donc un effet cathartique, au sens aristotélicien ? Comme l’a expliqué Jérôme Porée, professeur à la faculté de philosophie de Rennes, la catharsis chère à Aristote est une épuration des émotions, «une transformation qualitative de la frayeur et de la pitié». Mais quand, par le filtre de l’art dramatique, le spectateur pouvait «regarder ce qui d’ordinaire le terrasse» et ainsi transformer intérieurement ses « passions », la pratique sportive peut-elle être autre chose que l’expression d’une douleur, quelle qu’elle soit ? «Quand l’art est trop proche de la douleur, il échoue à la transformer», souligne Jérôme Porée. A méditer.
* Respavie intervient, outre dans les 62 établissements adhérents, à domicile depuis le début de l’année, par le biais d’une équipe-ressource. Tél. 02.40.16.56.40 ou respavie@chu-nantes.fr.
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