La réunion à Cancun, Mexique, de l'Organisation mondiale pour le commerce (OMC) donne lieu au débat désormais rituel sur les riches et les pauvres, l'injustice exercée par les pays industrialisés, la misère des pays en développement, c'est-à-dire non développés, les conséquences épouvantables des délocalisations et le chômage induit par les multinationales, pieuvres cruelles qui détruisent des emplois au nom de la rentabilité.
L'OMC n'a été créée en réalité que pour tenter de prendre le contrôle de ce qu'on appelle le « libéralisme sauvage » et d'en atténuer les effets pervers, qu'il serait absurde de nier. Au sommet de Cancun, Européens et Américains seraient bien décidés à adopter de nouvelles mesures propres à mettre un terme aux aberrations du protectionnisme agricole ; et le tiers-monde veut faire entendre sa voix. Mais, en dépit de la bonne volonté affichée par les participants, on en est à se demander si l'OMC, accablée de problèmes et surtout de critiques, va survivre.
Plus de libre-échange
Il nous semble que son existence est utile tant que l'OMC veillera à protéger les pays monoproducteurs de matières premières ou de denrées agricoles et qu'elle accentuera le libre-échange, qui n'est pas autre chose que le moyen de faire valoir la qualité d'un produit en supprimant les tarifs douaniers qui lui sont appliqués et n'ont pour objet que de protéger une production nationale plus chère.
Mais bien sûr, si l'on tient compte de la haine qu'inspire l'OMC, des manifestations violentes auxquelles donnent lieu ses réunions, de la mobilisation planétaire que déclenche la seule mention de son nom, on peut aussi s'interroger sur son utilité, son existence et son avenir. De la même manière, on est en droit de se demander si des institutions comme le FMI et la Banque mondiale sont vraiment nécessaires ; et si les sommets du G8, qui provoquent des émeutes antimondialisation, ne pourraient pas être supprimés, d'autant qu'ils coûtent cher et n'ont jamais rien changé ni à la prospérité ni aux crises.
Mais là où on ne peut pas suivre les champions de l'antimondialisation, c'est lorsqu'ils ignorent les résultats remarquables du développement du commerce mondial et plus particulièrement de l'application de la « clause de la nation la plus défavorisée », qui accorde un traitement douanier de faveur à tout pays en développement par rapport à tout pays industrialisé.
Beaucoup d'experts indiquent d'abord que les économies d'Afrique commencent à prendre un rythme de croissance plus élevé. Mais même si le bilan de quarante ans d'aide l'Afrique est consternant, il y a d'autres régions du monde qui ont largement bénéficié du libre-échange. Après la Corée du Sud, parvenue au stade de pays industriel, après la Malaisie, Singapour et la Thaïlande, la Chine et l'Inde, ces deux géants asiatiques, enregistrent un taux d'expansion de deux à trois fois supérieur à celui du monde industrialisé depuis que l'une et l'autre ont adopté l'économie de marché.
Non seulement ces deux immenses pays engrangent d'énormes excédents commerciaux, mais chaque année, ils augmentent leur classe moyenne de plusieurs millions de foyers supplémentaires. Certes, la misère existe en Inde et en Chine, notamment dans la paysannerie et, en Chine, dans l'ancien système industriel du régime totalitaire : la réforme de l'industrie chinoise mettra bon nombre de citoyens au chômage. Mais les progrès des deux pays sont indéniables.
Une prospérité nourrie par le déficit américain
Or d'où tirent-ils cette prospérité, sinon de leurs exportations ? Et où trouvent-ils leurs excédents commerciaux sinon dans le déficit extérieur de 500 milliards de dollars des Etats-Unis ? Et que se passerait-il en Inde et en Chine (et ailleurs) si l'Amérique, désireuse de combler ce déficit, lassée d'être la cliente toujours perdante de l'Asie, décidée à juguler le marché, tournait le dos au libre-échange et s'en remettait au bon vieux protectionnisme ?
Ce seraient alors les sociétés chinoise et indienne qui s'effondreraient et, avec elles, celles du Japon et de la Corée du Sud et, dans la foulée, les pays pauvres qui non seulement ne vendraient pas à l'Amérique, mais ne pourraient pas non plus vendre aux fournisseurs habituels de l'Amérique.
Les Etats-Unis sont indifférents à leur déficit commercial parce que les pays dont ils sont les clients assidus leur renvoient une partie de leurs gains sous la forme de placements et d'investissements en Amérique. Il n'en demeure pas moins que le marché américain est la vache à lait du monde et que, conformément à la nature humaine, comme les Etats-Unis rendent service aux autres sur le plan commercial, ils sont particulièrement haïs.
Il n'y a pas que l'Asie ; l'Europe elle-même a démontré qu'elle a été incapable de prendre le relais des Etats-Unis pendant la crise économique et après le 11 septembre ; et que c'est la politique de déficit budgétaire de George W. Bush qui donne un espoir de rebond de l'économie mondiale.
Dans ces conditions, l'antimondialisation prise à la lettre n'est pas autre chose qu'une recette pour la misère. La nôtre et celle de ces malheureux pays qui n'en finissent pas d'émerger. Cela n'empêche pas tous les mouvements révolutionnaires de s'unir pour les « défendre » alors que leur action, si elle était couronnée de succès, appauvrirait les pauvres encore plus.
Quant à l'Amérique, elle n'est pas généreuse : ce qu'elle perd dans les échanges extérieurs, elle le retrouve au niveau des prix, contenus par les importations, et au niveau de la distribution : quand une boutique ou une chaîne de magasins vend des pantoufles chinoises, elles créent des emplois aux Etats-Unis aussi. L'important n'est pas de protéger artificiellement des postes de travail ; l'important, c'est un marché assez vivace pour embaucher, qu'il s'agisse de vendre des produits nationaux ou étrangers.
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