Le Dr Éric Kariger, ancien chef du service de soins palliatifs du CHU de Reims, où Vincent Lambert a été admis en juin 2009, trois mois après un grave accident de la route, aujourd’hui directeur médical d’un groupe de maison de retraite, publie ce 8 janvier « Ma vérité sur l’affaire Vincent Lambert ».
Le Dr Kariger revient sur la prise en charge du patient par son équipe, sa lecture de la Loi Leonetti, et sa vocation de médecin, alors que le sort de Vincent Lambert devrait être tranché par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) d’ici à un ou deux mois.
Le Quotidien : Au lendemain de l’audience de la CEDH qui doit se prononcer sur la conformité de la législation française sur la fin de vie avec la Convention européenne des droits de l’homme, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Dr Éric Kariger : Je suis serein et confiant car la loi Leonetti contre l’obstination déraisonnable, que je défends et applique depuis des années, me paraît être l’une des lois les plus avancées, rigoureuses et strictes en la matière. Elle enjoint de s’appuyer sur un pronostic et un diagnostic consolidés et sur les volontés du patient et d’organiser une discussion collégiale. En outre, le médecin n’est pas au-dessus des lois, ses actes peuvent être contrôlés par le juge.
La CEDH pourrait laisser la main aux États. Je serais un peu déçu car les questions qui se posent sur la fin de vie en Occident sont les mêmes partout, malgré des différences entre les cultures (la Grande-Bretagne est parfois plus pragmatique dans une logique « coût-efficacité », la médecine latine est plus « pro-life »).
J’espère que les juges européens iront plus loin en faisant une jurisprudence européenne dans les situations de limitation et d’arrêt des traitements en cas d’obstination déraisonnable, où il s’agit de « laisser mourir ». Sur ce sujet, on n’est pas loin du consensus, ce qui n’est pas le cas sur l’euthanasie. Et la loi Leonetti est extrêmement structurante pour protéger le patient contre l’eugénisme (arrêter trop tôt les soins) ou l’acharnement (trop tard). Elle remplit toutes les conditions du principe de proportionnalité entre le droit à la vie, principe fondamental, et le droit à ne pas subir des soins déraisonnables.
Pourquoi avoir écrit cet ouvrage, alors que vous n’êtes plus chef de service au CHU de Reims ?
C’est un devoir intellectuel et professionnel de savoir faire des retours d’expérience. On a droit à l’erreur, non à la récidive. Il faut savoir tirer les leçons de notre expérience.
Mon livre a aussi vocation à rappeler les faits, à expliquer, afin de sortir du manichéisme entre pro-life et euthanasie. C’est une confession personnelle, une manière d’exprimer ma vérité, ma subjectivité d’honnête homme, car il a pu se raconter n’importe quoi.
C’est enfin une manière de rendre hommage à la médecine. En tant que patron, j’ai été amené à mouiller le maillot pour défendre un patient, une déontologie, une équipe, une idée de la médecine. Je suis admiratif de mes auxiliaires, de mes aides-soignants, mes infirmiers, qui tous les jours se dévouent auprès de populations vulnérables. Je n’ai rien révélé qui n’ait déjà été médiatisé. J’évoque deux traumatismes que Vincent Lambert a subis car ils expliquent beaucoup de choses, la souffrance des parents, les relations familiales, la violence de cette affaire. J’ai essayé avec la plus grande honnêteté d’apporter une valeur ajoutée au débat.
Les députés Jean Leonetti et Alain Claeys proposent, dans un rapport au président de la République, l’ouverture d’un droit à une sédation profonde et continue. Vous semblez émettre des réserves à cet égard ?
Je salue le travail de Jean Leonetti et Alain Claeys qui ont cherché à dépassionner le débat en élaborant un compromis et en rassurant la société. Je lis la montée en charge de la demande d’euthanasie comme l’expression de la peur des patients de subir une obstination déraisonnable ; nous devons garantir à nos contemporains que l’obstination déraisonnable appartient au passé grâce à notre culture palliative, et qu’à l’inverse, nous n’arrêtons pas des soins de manière arbitraire.
La sédation, on la pratique, mais elle ne doit pas être une solution de facilité. Il faut pour cela une extrême rigueur éthique car tout est dans l’intention qui précède le geste.
J’adore ce raccourci qui permet de faire réfléchir : « dormir définitivement, c’est déjà mourir un peu. » Aujourd’hui, j’ai une difficulté. Il y a un avant et un après Vincent Lambert. Pendant des années, je me suis battu pour prendre soin des plus vulnérables. J’ai aujourd’hui un regard plus raisonné sur les états dramatiquement végétatifs chroniques. Tant qu’il y a de la relation, il y a du sens. Mais quand on est irréversiblement dans une situation de non-relation avec son environnement, n’est-on pas de fait dans un cas d’obstination déraisonnable ?
Si on veut trouver un compromis entre une médecine un peu trop pragmatique et une médecine qui prend trop de risque pour la vie, il faut donner une chance en amont (dans la réanimation) mais il faut aussi pouvoir s’arrêter quand le pronostic se consolide de manière défavorable.
Pour en savoir plus, lire « le Quotidien du Médecin » du lundi 13 janvier.
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