«Tout le monden'est pas exposé, souligne d'emblée le Dr Sophie Goettmann-Bonvalot. Une prédisposition génétique rend la kératine plus perméable aux champignons et n'affecte donc que certains individus.» Une fois ce cadeau familial en poche, on peut néanmoins essayer de contrôler les causes de survenue des mycoses de l'ongle, qui sont multifactorielles et dépendent de nombreux facteurs, dont le sexe. Les hommes seraient quatre fois plus atteints que les femmes, selon une étude finlandaise. Aux États-Unis, l'écart serait plus réduit : 3 % d'onychomycoses dans la population générale tout âge confondu chez l'homme, 1,4 % chez la femme. Une étude conduite en Écosse par sondage va également dans le même sens (2,8 % chez l'homme et 2,6 % chez la femme). Ces faibles différences sont également retrouvées dans l'enquête européenne du projet Achille (2).
Comment expliquer ces chiffres ? «Probablement par le biais des activités sportives», commente cette spécialiste. Les plus connus sont les sports nautiques et ceux pratiqués pieds nus (natation, judo, karaté, etc.), pour lesquels les prévalences sont élevées, en raison d'un contact direct avec le sol. D'une façon plus générale, tout sportif utilisant des vestiaires collectifs ou des douches est exposé, car ce sont des endroits où la colonisation dermatophytique du sol est maximale. Ce risque est d'autant plus important que le nombre de personnes fréquentant ces lieux, chauds et humides, est élevé. La pratique d'échanges de serviettes de couleur que l'on ne peut pas bouillir ou de chaussettes favoriserait la contamination entre sportifs. Il est démontré que T.rubrum et T.mentagrophytes résisteraient à un blanchissage classique et qu'ils peuvent rester viables au moins cinq ans, dans les squames issues de l'épiderme et déposées sur un support inerte (2).
«Les microtraumatismes de l'ongle jouent également un rôle important dans l'apparition de l'invasion fongique. Le tennis, le jogging, le squatch, tous les sports qui favorisent des points d'impact sur l'orteil entraînent des dystrophies mécaniques du gros orteil, des hématomes dont la répétition favorise des hyperkératoses sous-unguéales. Un intertrigo mycosique interorteil passe facilement inaperçu et est à l'origine de la colonisation mycosique.»
Le mode de pénétration du champignon dans l'appareil unguéal se fait de différentes façons, ce qui va conditionner la variété clinique et la préférence thérapeutique. Les ongles abîmés de ces sportifs sont piégeants car ils peuvent revêtir tous les aspects cliniques caractéristiques d'une onychomycose. Outre l'hyperkératose sous-unguéale distale, ils présentent souvent une onycholyse (décollement de la tablette unguéale) ou une coloration anormale de la tablette allant du brun au blanc.
C'est là que tout se complique car le diagnostic de l'onychomycose ne peut pas se faire sur la clinique. Et sachant que le renouvellement de l'ongle s'effectue en douze à dix-huit mois, il est hors de question de démarrer un traitement sur les données de l'examen clinique. Le laboratoire est une nécessité incontournable. Ce prélèvement analysé dans un laboratoire spécialisé sera effectué au laboratoire ou par le médecin. Il suffit de découper un fragment d'ongle à la pince à ongles à la jonction ongle sain-ongle pathologique. Les faux négatifs sont souvent dus à un prélèvement trop distal ou trop superficiel. Les champignons le plus souvent en cause sont les dermatophytes, avec, en tête de liste, le Trichophyton rubrum.
Lunule atteinte ou non.
En cas d'atteinte distale (lunule non atteinte), le traitement repose sur l'application d'un vernis (ciclopiroxolamine ou amorolfine). La mise au point de ces dispositifs unguéaux est un progrès, à condition qu'ils soient appliqués pendant un an. En cas d'atteinte lunulaire, on doit y adjoindre un traitement systémique pendant trois mois (en première intention : terbinafine 1 cp trois fois par jour ; en seconde intention, ou en cas intolérance à la terbinafine, mais toujours en seconde intention : l'itraconazole [prescription hors AMM]).
«Les hommes sont moins observants que les femmes et arrêtent leur traitement dès que l'aspect de l'ongle est normal. Cet arrêt prématuré est un facteur d'échec. Il est impératif de revoir le patient un mois après la fin du traitement oral (quatrième mois) .» Si l'ongle est trop épais, on peut l'amincir en faisant lyser la kératine par des produits spécifiques et, en dernier recours, employer une avulsion chirurgicale.
À ce traitement médicamenteux s'associe, à visée désinfectante, le chauffage intense de l'intérieur des chaussures au moyen d'un sèche-cheveux (deux fois de suite en une semaine) et le saupoudrage d'un produit antimycosique. Après le dépistage et le traitement, la prévention est une étape essentielle. Éduquer les sportifs à consulter au plus tôt, notamment en cas d'intertrigo des orteils, porter des chaussures ou des sandales en caoutchouc dans les lieux exposés. Après les séances de sport, se laver les pieds et bien sécher les espaces interorteils. Y répandre systématiquement une poudre antimycosique, ainsi que sur la face latérale des pieds et sur les plantes.
(1) Dermatologue spécialiste des maladies de l'ongle.
(2) Dominique Chabasse, « Épidémiologie et étiologie des onychomycoses », pp. 1-35, in « Onychomycoses », de R. Baran, G.-E. Piérard, Masson, Paris 2004.
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