L'ouvrage est court - quarante pages -, mais percutant. A l'heure où les pouvoirs publics s'interrogent sur les moyens d'enrayer la désertification médicale de certains secteurs (voir aussi page 8), le Livre blanc des internes de Picardie, remis samedi au ministre de la Santé à l'occasion des dix ans des Urml, devrait être lu avec attention. Intitulé sobrement « Formation et démographie : constat et propositions », il est le fruit d'une enquête réalisée auprès des internes de la région de France métropolitaine où la densité des médecins libéraux est la plus faible (144 médecins pour 100 000 habitants) et où le taux de fuite des médecins formés est très élevé. « L'objectif de cette étude était de connaître l'image qu'ont les internes de la Picardie, comment ils jugent la qualité de leur formation et s'ils envisagent leur avenir professionnel dans cette région », résume Raphaël Coursier, président de l'Association professionnelle des internes des hôpitaux d'Amiens, à l'origine de l'enquête réalisée avec le soutien logistique de l'Urml de Picardie.
Quelque 178 étudiants sur les 337 que compte la région ont renvoyé le questionnaire en début d'année. Une majorité sont des spécialistes (80 %), des femmes (58 %), âgés de 27 ans en moyenne, mariés dans un cas sur deux.
Premier constat : 84,5 % des internes de spécialité amiénois ne sont pas originaires de la Picardie mais d'une faculté de la grande couronne picarde, c'est-à-dire de Lille, Reims, Rouen ou Paris, située à environ 150 km d'Amiens. Ils viennent de régions proches dont le climat et la culture sont sensiblement identiques. A leur arrivée en Picardie, un grand nombre d'entre eux (72,5 % ) ne souhaitent pas rester dans la région à la fin de leur formation. « Ces internes restent souvent liés à leur ville d'origine. Ils font des allers-retours pendant quatre ou cinq ans et retournent finalement dans leur région. » Beaucoup indiquent avoir choisi la Picardie pour accéder à une spécialité médicale précise (38,5 %), parce que leur classement ne leur permettait pas d'intégrer une autre faculté (26,8 %) ou pour des raisons familiales (20 %). De la même façon, près d'un tiers des internes de médecine générale originaires de Picardie ne veulent pas s'y installer.
Un déficit d'image considérable.
L'enquête révèle que, avant d'arriver dans la région, 42,5 % des internes de spécialité en ont « une mauvaise, voire une très mauvaise image ». En revanche, après deux ans sur place, ils sont trois fois plus nombreux à en avoir une bonne opinion (10,6 % à 33,6 %) et le nombre d'indécis est multiplié par six (4,9 % à 28,9 %). « La Picardie offre un potentiel de sympathie qui n'est pas exploité à l'extérieur ; un certain nombre d'internes seraient prêts à rester », souligne l'Association des internes des hôpitaux d'Amiens.
Les internes déçus par leur formation.
Si les internes de spécialité sont satisfaits de leur enseignement pratique (61,5 %), ils critiquent très sévèrement l'enseignement théorique hospitalier et universitaire. Deux étudiants sur trois en sont mécontents. Surtout, 56 % des internes disent avoir des « relations déplorables ou médiocres » avec la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (Drass) de Picardie. Un interne sur deux a des relations qualifiées de « moyennes » avec la faculté de médecine d'Amiens. Ces résultats sont éloquents, car ces institutions (CHU, faculté, Drass) jouent un rôle majeur dans la formation et l'avenir proche des étudiants en médecine. « Elles doivent s'adapter aux besoins de formation des internes si elles souhaitent en conserver un maximum », souligne l'étude.
Faibles perspectives.
Quoique nuancées, les conclusions de cette enquête sont pessimistes. Seulement 22,5 % des jeunes médecins se voient offrir une perspective d'avenir professionnel en Picardie. « La région possède le plus faible taux national de praticiens universitaires (chefs de clinique inclus) rapporté au nombre d'étudiants en médecine inscrits en 2e année. » Pourtant, 60 % des internes qui ne souhaitent pas rester en Picardie se disent prêts à modifier leurs projets professionnels si une proposition de clinicat, un poste au CHU ou dans la région leur est offert. « Ce Livre blanc est un SOS », explique Raphaël Coursier. « Nous savons que la Picardie est sous-médicalisée et que les médecins ne souhaitent pas s'y installer. Ce qui est plus grave, c'est que personne ne cherche réellement à comprendre les raisons de cette situation et que l'Etat a complètement abandonné la formation médicale dans cette région. Il faut agir », conclut le vice-président de l'Isnih.
Dix propositions
Les internes de Picardie ont établi une dizaine de propositions pour tenter d'enrayer l'exode des médecins de cette région.
- Favoriser les lieux de vie et de rencontre dans les locaux d'internat au sein des hôpitaux.
- Communiquer sur les opportunités professionnelles de la région.
- Développer l'activité mixte (hospitalière et libérale).
- Communiquer sur la qualité de vie en Picardie auprès des futurs internes de la région.
- Créer des passerelles entre les disciplines pendant et après l'internat.
- Aider les jeunes médecins à s'installer dans la région en finançant la RCP et en favorisant les regroupements.
- Financer les études des internes et étoffer les formations disponibles à la faculté, faciliter les projets de formation.
- Favoriser la mobilité des internes par des stages inter-CHU.
- Créer rapidement des postes de chefs de clinique, d'assistants spécialistes, de PHU, de PU-PH ou de recherche dans la région.
- Mettre en place des incitations financières pour les spécialités pénibles et déficitaires dans la région.
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