SELON CHRISTIAN SAOUT, la crise de confiance qui a commencé à se manifester il y a vingt ans est à présent bien installée. Elle a des causes conjoncturelles qui se sont agglomérées au fil du temps. À l'origine, sans doute, le sida, qui montre «un modèle biomédical en échec sur la guérison» mais qui, surtout, au-delà de la crise médicale, a révélé «l'incapacité des acteurs à prendre en compte la dimension personnelle ou sociale des personnes touchées par le VIH/sida». Cette crise morale affecte le système de santé. L'échec dans le traitement des maladies rares sape aussi la confiance, tout comme l'émergence des maladies nosocomiales. «C'est autour de ces trois situations que se noue une part de la perte de confiance… Même si les crises générées ont permis l'émergence d'innovations heureuses: réglementation européenne sur les médicaments orphelins, conception de la réduction des risques des addictions, approche de la douleur et des soins palliatifs, écriture de la carte du génome…», précise Christian Saout.
À ces crises conjoncturelles s'ajoutent des raisons systémiques qui structurent la perte de confiance sur la longue durée : l'installation durable de la dispute juridique, et surtout son versant judiciaire, prouve que la santé est durablement affectée. Procès du sang contaminé, de l'hormone de croissance, de l'amiante montrent que, pour les patients, il faut aller en justice pour connaître une vérité qu'on voudrait leur cacher. On se méfie également des alertes sanitaires dont la canicule a révélé les carences ; des carences d'alertes que montre aussi la cécité de l'assurance-maladie à l'égard de gestes chirurgicaux répréhensibles ( «urologues qui bistourisent à tort»).
« L'abandon des patients ».
Autre crise structurelle : «l'abandon des patients». Tout en reconnaissant que la formule peut paraître exagérée, le militant argumente : «Notre modèle est conçu sur une ville et un hôpital qui échangent autant que des caissons étanches, avec, qui plus est, une médecine ambulatoire atomisée autour des exercices isolés, abandonnant les patients à leur sort d'errants d'un système qui produit du soin mais sûrement pas du mieux-être…» Sans compter que les plus pauvres sont exclus du système, c'est le cas de 40 % des bénéficiaires de la CMU.
Et pourtant, cette crise de confiance ne semble pas décourager le recours aux soins. Les Français en consomment, en volume, deux fois plus que la moyenne européenne. Comment expliquer cela ? En premier lieu parce que la population est «captive», on ne va que dans de très rares cas se faire soigner à l'étranger. De plus, le patient ne dispose pas des outils de l'autonomie de décision : les médecins l'informent peu lors de la consultation, ce sont les associations qui revendiquent le droit à l'éducation thérapeutique. Mais les organisations d'usagers «restent très éloignées de la gouvernance générale du système, elles n'ont pas de représentant à l'UNCAM, ni au collège de la Haute Autorité de santé…».
Comment restaurer la confiance ? En veillant à la protection des libertés individuelles à l'occasion du recueil des données informatisées qui se multiplient, en ouvrant vraiment pour tous l'accès aux soins, en veillant à la qualité des soins et à l'équilibre durables des comptes de santé. «La santé, conclut Christian Saout, c'est une question de proximité, une question de mode d'organisation dans une collectivité humaine. Cela s'appelle un pacte de santé. C'est de cela dont nous avons besoin sur la route de la confiance.»
Le cycle « Crises et santé »
Les Tribunes de la santé, le cycle de conférences grand public de la chaire santé de Sciences-Po, sur le thème « Crises et santé », organisé en partenariat avec « le Quotidien », se poursuivent jusqu'à la fin de l'année.
Prochains rendez-vous :
n le 26 juin, « L'assurance-maladie : sortie de crise ? », par Frédéric Van Roekeghem, directeur de la CNAMTS ;
n le 9 octobre, « La génétique, scénario pour une crise », par Axel Kahn, président de l'université Paris-Descartes ;
n le 27 novembre, « Gestion d'une crise sanitaire : l'exemple du chikungunya », par Antoine Flahault, directeur de l'EHESP ;
n le 18 décembre, « L'hôpital en crise ? », par Claude Evin, président de la FHF.
Les conférences ont lieu de 19 h 15 à 20 h 30 à Sciences-Po (27, rue Saint-Guillaume, Paris 7e).
L'entrée est libre sur inscription préalable : http://chairesante.sciences-po.fr.
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