« DEPUIS QUE J'AI ÉTÉ ponté il y a quinze ans, je suis en ALD. Ai-je besoin de me faire rembourser à 100 % ? » Ce malade qui aimerait payer davantage de sa poche n'est autre que Claude Bébéar, ex-P-DG du groupe d'assurances AXA et actuel président de l'institut Montaigne. Il a fait cet aveu la semaine dernière, à l'occasion d'une table ronde organisée à la Maison de la chimie à Paris par l'association Dialogues (1) et le journal « Libération » sur le thème « Assurance-maladie : une réforme pour quoi faire ? », où il a été beaucoup question de responsabiliser les patients.
La « gratuité » des soins (par une prise en charge à 100 % assortie d'une dispense d'avance de frais) incite-t-elle à la « surconsommation » ? Le journaliste économique Jean-Marc Sylvestre voit dans la carte Vitale « un instrument diabolique » et s'étonne d'avoir « passé environ trois mois à l'hôpital et six mois en rééducation sans avoir jamais entendu parler d'un seul franc de dépense », signe selon lui d'une « déresponsabilisation totale » en tant que malade. Au contraire, l'économiste José Caudron, de la fondation Copernic, pense que l'idée selon laquelle « plus c'est gratuit, plus c'est cher » pour la collectivité est fausse. Il cite le cas des Etats-Unis, où les dépenses de santé très élevées sont « les moins socialisées », et l'exemple de la Suède, où la gratuité de la majorité des soins n'entraîne pas de surcoût.
La dépense utile.
« Mon souci, ce n'est pas de savoir combien ça coûte, mais si c'est correctement dépensé, utile à mon patient », déclare pour sa part le médecin généraliste et écrivain Christian Lehmann. Il est partisan du tiers payant qui marque « le début d'une réflexion différente » avec le patient, en dehors de la « notion de clientèle ».
« On peut trouver des systèmes mixtes de rémunération des médecins, mais il faut savoir combien ça coûte », rectifie le conseiller spécial du président du Medef, Bernard Boisson. « Une des plaies de notre système, c'est la dénonciation de la maîtrise comptable, poursuit-il. La responsabilité première d'un gestionnaire de fonds publics, c'est qu'ils soient utilisés au mieux. » A cette approche « en fonction du coût », Catherine Lemoine, de la CGT, oppose l'approche « la plus saine » fondée sur « l'efficacité de la réponse aux besoins de la population ». Sinon, on s'expose, selon elle, à « un mécanisme idéologique assez dangereux » en « rationalisant de manière comptable » les soins des personnes en ALD, prises en charges à 100 %, qui suscitent 48 % des dépenses de soins de ville.
Pour Gaby Bonnand, de la Cfdt, il faut de toute façon passer d'un « système de distribution de soins » à « un système organisé ». « Le défi » à relever aujourd'hui, selon ce responsable Cfdt, c'est de faire « mieux coopérer » les régimes obligatoires et les complémentaires santé afin de « peser sur l'organisation (du système de santé) et faire en sorte que l'action de remboursement puisse avoir une action vertueuse » en combinant « meilleure prise en charge » et « responsabilisation des patients ».
Deux France ?
Jean-Pierre Davant, président de la Mutualité française, le confirme : « Il est essentiel, pour réguler les dépenses en médecine de ville, que les complémentaires [assumant 40 % des dépenses] soient parties prenantes ». Jean-Pierre Davant se dit « d'accord avec Claude Bébéar sur le dossier médical partagé et la nécessité d'évaluer les pratiques. » En revanche, il note un « profond désaccord » sur la distinction petits risques/gros risques induite par le projet de couverture santé solidaire (CSS) proposé par l'institut Montaigne (« le Quotidien » des 4 mars et 8 avril). Axée sur « la protocolisation » des soins et recentrée sur les pathologies lourdes, la CSS exclut le secteur dentaire, l'optique et l'audition, souligne le président de la Mutualité : « On va faire deux France, une France édentée et qui n'entend pas, et l'autre ». « Il n'y a pas de différence majeure entre nous », constate pourtant Claude Bébéar. « Il y a des choses déclarées comme essentielles, puis il y a le complémentaire, dans lequel le malade a le libre choix. »
En tout cas, le mutualiste et l'assureur préconisent tous les deux de grands changements pour l'hospitalisation. Claude Bébéar défend le projet de son institut qui prône pour les hôpitaux une autonomie et un statut privé à but non lucratif (« le Quotidien » du 17 février). Jean-Pierre Davant appelle à « redévelopper notre système hospitalier en fonction des besoins de santé des populations et non plus dans le cadre d'un schéma totalement obsolète », parfois incompatible avec la sécurité des patients.
Outre la réorganisation du système de santé, le financement était aussi bien sûr au menu du débat sur la réforme. La Mutualité, la Cfdt et la CGT s'accordent pour demander au gouvernement de traiter séparément le financement du système et l' « apurement de la dette ».
« Pour des raisons évidentes d'équilibre des finances publiques », le président de Dialogues, Jean Peyrelevade, conclut que « le chantier gigantesque » de la réforme aboutira « au final à une hausse des prélèvements et à une baisse des remboursements ».
(1) Fondée en 2003, l'association Dialogues est présidée par Jean Peyrelevade, ex-P-DG du Crédit Lyonnais et de l'UAP, et se compose de dirigeants d'entreprise, de syndicalistes, d'experts en relations sociales désirant « concilier efficacité économique et performance sociale ».
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