Des problèmes spécifiques en gériatrie
LA PRISE EN CHARGE de la douleur chez le sujet âgé pose à la fois des problèmes d'évaluation et des problèmes thérapeutiques. Il faut d'abord savoir la dépister, puis la quantifier et enfin la qualifier. La reconnaissance de la douleur n'est pas toujours facile chez les sujets non communicants ou dyscommunicants. Quand le patient ne peut répondre à l'interrogatoire, le diagnostic fait donc appel à l'hétéro-évaluation. Plusieurs échelles spécifiquement adaptées au sujet âgé sont disponibles, notamment l'Ecpa (échelle comportementale de la personne âgée), ou encore l'échelle comportementale Sainte-Perrine, mais seule l'échelle Doloplus est validée. Elle recherche des signes directs observables par le médecin et ayant un lien direct avec l'expérience douloureuse que vit la personne âgée au moment de l'examen : expression du visage, gémissements spontanés ou lors des changements de position, désignation, sans mot, d'une zone douloureuse, protection d'une zone douloureuse lors des soins ou position antalgique. Les signes indirects sont la conséquence de l'expérience douloureuse. Il peut s'agir de signes généraux, notamment une perte d'appétit et une réduction de la vie sociale - le patient se referme et prend de moins en moins d'initiatives sociales - et/ou d'une anticipation anxieuse des soins - le patient modifie son comportement à l'approche d'un soin qui entraîne une douleur.
Une quantification objective ou subjective.
Une fois la douleur reconnue, il faut la quantifier. Chez le sujet communicant, on utilise l'échelle visuelle analogique (EVA) ou, mieux chez le sujet âgé qui est plus sensible aux chiffres, l'échelle numérique. Sur celle-ci, le zéro correspond à « pas de douleur », le chiffre 10 à « la douleur maximale que vous pouvez imaginer ». Si le patient ne peut pas s'exprimer, ces échelles sont inutilisables et l'intensité doit être appréciée par le soignant, l'évaluation est donc alors nécessairement subjective.
L'étape suivante est la qualification de la douleur avec la distinction entre les douleurs par excès nociceptif et les douleurs neurogènes, distinction essentielle pour orienter la thérapeutique. Le premier élément à prendre en compte est bien sûr la ou les pathologies en cours ; il faut aussi rechercher une cause iatrogène : la chimiothérapie notamment est source de douleurs neurogènes. Lorsque le patient communique, l'examen clinique permet de confirmer le diagnostic de douleur d'origine neuropathique. Sinon, le meilleur signe est l'allodydie, c'est-à-dire l'apparition d'une douleur consécutive à une sensation qui n'est pas douloureuse normalement. Il faut donc toucher le patient ou simplement l'effleurer et observer son comportement ; s'il présente une allodynie, ce geste provoque un retrait de la partie douloureuse du corps ou l'apparition d'une mimique douloureuse.
Des doses initiales faibles.
Avant de prescrire, le praticien doit également faire un « état des lieux », autrement dit apprécier un certain nombre d'éléments non liés à la douleur, mais qui sont susceptibles d'être modifiés par les traitements. Il évalue le niveau de conscience, la fréquence et le rythme respiratoires, l'élimination digestive et urinaire. Il faut en effet avoir des éléments concrets avant le début du traitement. Comme le souligne le Dr Denis, un trouble du comportement ou une certaine confusion ne sont pas des contre-indications à un traitement opioïde, mais leur présence doit être notée, pour éviter d'attribuer de faux effets secondaires aux médicaments. Chez une personne âgée qui souffre, la douleur peut d'ailleurs modifier le niveau de conscience, son soulagement peut donc l'améliorer. Un trouble du comportement peut aussi être une conséquence de l'expérience douloureuse.
Comme, a priori, la fonction rénale du patient âgé est diminuée, on sait que les médicaments sont éliminés moins rapidement que chez un adulte en bonne santé, avec un risque accru d'effets secondaires ; d'où la règle d'or : « démarrer bas, progresser lentement » (de l'anglais « start low, progress slow »). Ainsi, si l'on décide de prescrire de la morphine, la dose initiale sera seulement un quart de la posologie habituelle.
On dispose de trois produits : le sulfate de morphine per os, le chlorhydrate de morphine par voie parentérale et l'oxycontin en comprimés. Pour la morphine, on commence par une dose quotidienne de 0,50 ou 0,25 mg/kg en deux prises. L'efficacité du traitement est évaluée au bout de 48 heures en cas de douleurs cancéreuses, après 8 jours pour les douleurs non cancéreuses, comme, par exemple, une poussée sévère d'arthrose. Si le patient souffre d'un cancer et qu'il bénéficie d'un entourage attentif, on peut proposer des interdoses de morphine correspondant à un sixième ou un dixième de la dose journalière. S'il est seul, il est préférable d'éviter ces interdoses en raison d'un risque de mauvaise compréhension ou de mésutilisation et donc de surdosage.
Pour adapter la posologie, en cas de soulagement insuffisant, il faut donc prendre en compte la dose fixe et ces doses supplémentaires. En l'absence d'interdoses, la posologie est augmentée de 50 % à chaque évaluation, jusqu'à ce que la douleur soit devenue supportable.
L'oxycontin constitue une nouvelle arme thérapeutique intéressante, notamment en raison de son absence de métabolisme hépatique, mais le premier dosage est de 10 mg, ce qui correspond à 20 mg de sulfate de morphine, posologie qui peut être considérée comme trop forte chez des sujets fragiles. Les patchs de fentanyl sont aussi une nouvelle option thérapeutique. Ils ne peuvent être prescrits qu'en deuxième intention après un traitement par morphine, qui permet la titration, c'est-à-dire l'évaluation de la dose journalière efficace et bien tolérée. Cette option peut dès lors être préférée, si la posologie requise atteint la dose correspondante du patch ; en effet un patch de 25 μg de Durogesic équivaut à 75 mg/j de morphine.
Toute prescription de morphinique doit s'accompagner d'un traitement préventif de la constipation, en privilégiant les laxatifs osmotiques, car tous les médicaments de cette famille, quelle que soit la dose, entraînent une constipation. Un antiémétique est ajouté en cas de nausées ou de vomissements, symptômes qui s'amendent généralement en une dizaine de jours.
L'association paracétamol-codéine.
Les opioïdes restent donc le recours après avoir tenté les médicaments des paliers 1 et 2, qui, eux aussi, posent aussi des problèmes d'adaptation chez les sujets âgés. L'aspirine à visée antalgique est déconseillée, les Ains également en raison de leurs interactions avec de nombreux médicaments et de leurs effets secondaires gastriques. Le tramadol doit être utilisé avec prudence. Reste donc le paracétamol, avec néanmoins des précautions en cas d'insuffisance hépatique. Dans la majorité des cas, on peut utiliser, sans problème, des doses allant jusqu'à 6 comprimés de 500 mg/j. Dans le palier 2, l'association paracétamol-codéine peut être une bonne solution, en commençant par le produit le moins dosé, qui contient 400 mg de paracétamol et 20 mg de codéine, à raison de 4 à 6 comprimés par jour. Si la codéine est bien supportée et que les douleurs ne sont pas suffisamment soulagées, on peut passer à l'autre association un peu plus dosée : 500 mg de paracétamol et 30 mg de codéine. Rappelons que la codéine peut être, elle aussi, responsable de constipation et de nausées, mais aussi d'asthénie.
D'après la présentation de l'équipe de l'hôpital Sainte-Perrine, Paris et un entretien avec le Dr Michel Denis.
*Hôpital Sainte-Perrine, Paris.
Morphiniques : mode d'emploi à domicile
- Commencer par une dose de 0,25 ou 0,50 mg/kg/j.
- L'administrer en deux prise quotidiennes.
- Autoriser des doses supplémentaires dans la journée aux patients atteints de cancer et ne vivant pas seuls.
- Surveiller l'apparition d'une somnolence.
- Associer systématiquement un laxatif.
- Evaluer l'efficacité thérapeutique après 48 heures pour les douleurs cancéreuses, 8 jours pour les douleurs non cancéreuses.
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