Quatre questions clés
Les mises au point réalisées jusqu’alors reposaient sur des données des années 1980. L’actualité épidémiologique des fièvres au retour des tropiques a changé. Il faut toujours évoquer les causes les plus fréquentes et/ou les plus graves, mais connaître aussi les quelques affections émergentes, au sein desquelles figurent quelques infections virales très contagieuses ou très inquiétantes...
La démarche diagnostique est méthodique, à la recherche de facteurs épidémiologiques liés au patient, au voyage (géographiques, chronologiques) ou à la maladie.
Les quatre points incontournables de l’interrogatoire sont :
1) D’où vient le malade ? Certaines maladies étant ubiquitaires (par exemple : amibiase), d’autres localisées (par exemple : la trypanosomiase).
2) Depuis quand est-il rentré ? Puisque cette question croise avec les durées d’incubation des pathologies suspectées. Si c’est moins de quinze jours, toutes les causes sont possibles. Si c’est plus de quinze jours, il faudra éliminer : les fièvres hémorragiques, les borrélioses, les rickettsioses, les salmonelloses, les shigelloses.
3) Quel a été son mode de vie sur place (séjour en hôtel ou dans les « conditions locales ») ?
4) Quelle a été sa prophylaxie (antipaludéenne, hygiène alimentaire) et quelles sont ses vaccinations ?
Sur le plan clinique, il faudra cerner l’évolution de la fièvre, les signes associés (digestifs, cutanés), l’examen clinique sera complet et les examens complémentaires, guidés par le tableau clinique, comporteront au minimum une hémoculture et un hémogramme.
La place de la fièvre (22,6 %) au sein des autres pathologies du retour est variable selon la destination : fréquente au retour d’Afrique subsaharienne (37 %), elle est suivie de près par les diarrhées (22,2 %), plus fréquentes dans les zones tropicales américaines et asiatiques.
Quatre urgences
Il faut de principe évoquer et éliminer quatre urgences diagnostiques.
1. Lepaludisme : 30 à 40 % des causes de fièvre selon les séries, 5 000 cas/an en France, à Plasmodium falciparum, car seule cette espèce tue. Les critères de gravité OMS sont, depuis 2000, au nombre de 15 parmi lesquels les plus pertinents par leur fréquence ou leur gravité sont : coma, choc, acidose, oedème pulmonaire. Il faudra penser aux formes de diagnostic difficile comme les formes à faible parasitémie chez des patients prenant une chimioprophylaxie irrégulière. Le frottis, même sous des yeux experts, étant peu sensible, les moyens diagnostiques efficaces sont le QBC (1) ou la recherche d’Ag HRP2. Un accès tardif à P.falciparum peut survenir jusqu’à trois mois après le retour chez des patients ayant observé une chimioprophylaxie, mais aussi, de manière plus exceptionnelle, beaucoup plus longtemps après, par des mécanismes plus obscurs. Pour les autres espèces, comme P.vivax, la présence de d’hypnozoïtes intra-hépatiques permet d’expliquer les accès de reviviscence tardifs des mois ou des années plus tard. Il faut alors penser à reformuler la question pour ne pas méconnaître le diagnostic : existe-t-il, chez un patient fébrile, un antécédent tropical ?
Un diagnostic différentiel du paludisme dans la zone Sénégal/ Mali/Mauritanie est la borréliose africaine à Borellia crociduræ, endémique dans cette zone, transmise par une tique et dont le diagnostic peut être fait sur le frottis sanguin en augmentant simplement le grossissement en microscopie optique.
2. La méningite à méningocoque pose en pratique peu de problèmes diagnostiques puisqu’à la fièvre s’associe un syndrome méningé. C’est une affection grave grevée de 10 % de mortalité quel que soit le délai de prise en charge. La prévention collective par rifampicine des cas contacts est précisément définie par directive ministérielle. La vaccination confère une immunité contre les sérotypes A et C, mais pas contre le groupe B, actif en Europe. Il existe un vaccin contre la souche W135 (Ménommune) pour les pèlerins se rendant à La Mecque, cette souche étant responsable de poussées épidémiques loco-régionales.
3. Lafièvre typhoïde pose souvent le problème diagnostique d’une fièvre isolée dans le premier septénaire. Cette situation justifie la réalisation d’une hémoculture, seul moyen d’affirmer le diagnostic puisque les sérologies ont une sensibilité variable. La dissociation pouls/température est un excellent signe, retrouvé en général après cette première semaine. La vaccination par Typhim Vi ne confère qu’une immunité de 70 %, ce qui n’exclut pas la possibilité de faire une typhoïde chez un patient vacciné. Il semble qu’actuellement la majorité des cas de typhoïde soit liée aux sérotypes paratyphi A et C plus qu’à Salmonella typhi. L’autre problème d’actualité est la résistance aux antibiotiques puisque certaines souches deviennent résistantes aux fluoroquinolones et nécessitent le recours aux C3G voire à l’azithromycine.
4. Lesviroses aiguës graves qu’il faudra suspecter devant tout tableau algo-fébrile avec thrombopénie – et a fortiori syndrome hémorragique ou anomalies de la coagulation – et/ou encéphalopathie et/ou « hépato-néphrite » biologique. L’actualité est représentée par les arboviroses et le virus chikungunya dont l’épidémie sur l’île de la Réunion a fait en 2005/2006 266 000 cas pour 700 000 habitants... La dengue, sévissant en Asie et en Océanie, 2e cause de fièvre après le paludisme, est une arbovirose comprenant quatre sérotypes ayant tous un potentiel hémorragique et sans immunité croisée entre eux. C’est une pathologie émergente avec 5 millions de nouveaux cas par an et environ 30 000 décès. La menace d’importation d’autres fièvres hémorragiques plus « graves » ne représente qu’un risque faible (1 cas de fièvre Crimée Congo en 2004) mais dont la dangerosité ne peut être négligée (le laboratoire de référence est le laboratoire P4 de Lyon, 04.72.76.62.90, 24 h/24, 7 j/7). L’éventualité d’une fièvre jaune devra être évoquée devant toute hépato-néphrite hémorragique au retour de zone d’endémie chez un sujet non vacciné.
Enfin des poussées épidémiques comme celles du syndrome respiratoire aigu sévère ( sras), lié à un Coronavirus, ayant fait en Asie 8 000 cas dont 800 morts en 2003, justifie l’existence de protocoles hospitaliers d’évacuation et d’accueil spécialisés de tout patient suspect d’une affection grave à fort potentiel contagieux.
Cinq grands cadres
En dehors de ces situations urgentes, cinq grands cadres diagnostiques seront classiquement évoqués :
1. L’amibiase hépatique dont le tableau clinique complet réalise le classique « gros foie douloureux et fébrile », mais qui peut se présenter au début comme une fièvre isolée. Un diagnostic rapide (1 heure) par agglutination sur latex est disponible dans certains laboratoires. L’échographie et la sérologie font le diagnostic. Les amoébicides tissulaires puis de contact sont efficaces dans 100 % des cas.
2. La trypanosomiase africaine dont la phase lymphatico-sanguine est à l’origine d’une fièvre anarchique avec adénopathies. Quatre vingt-dix pour cent des cas déclarés sont le fait de Trypanosomia gambiense (Afrique de l’Ouest). Cette maladie ayant quasiment disparu dans les années soixante fait actuellement sa réapparition sous forme de bouffées épidémiques dans les foyers d’Angola, de République démocratique du Congo et du Soudan en 2005, ainsi qu’en Côte-d’Ivoire.
3. La bilharziose de primo-invasion réalisant la classique « fièvre des safaris » peut en réalité, pour les cas d’importation, se présenter sous forme pauci- voire asymptomatique dans 40 % des cas. La fièvre est l’élément le plus constant sur le plan clinique (40 %) et l’hyperéosinophilie sur le plan biologique (82 %).
4. Laleishmaniose viscérale dont la présentation clinique est celle d’une « fièvre folle » avec splénomégalie. L’actualité de cette parasitose est la résistance au traitement habituel (dérivés de l’antimoine) de certaines espèces, comme c’est le cas de Leishmania donovani en Inde. Une nouvelle molécule est efficace et disponible par voie orale, la miltéfosine (Impavido). Le second problème posé est celui de la co-infection VIH. En 1998, on recensait 1 700 cas mondiaux dont 1 440 notifiés dans le sud-ouest de Europe (Espagne : 835 ; Italie 229 ; France 259...). Il s’agissait dans 71 % des cas de toxicomanes, formant un « réservoir » hautement concentré en parasites. Il est très probable que ces chiffres soient largement sous-estimés, en particulier en Amérique du Sud, zone d’endémie du Kala-Azar, où la prévalence du VIH est importante. Le tableau clinique est inhabituel, souvent plus grave, et les sérologies n’ont aucune valeur du fait de l’immunodépression. Il faut mettre en évidence le parasite dans un tissu biologique.
5. La primo-infection par le VIH doit être évoquée devant tout tableau viral, même d’allure banale, entre deux et quatre semaines après la contamination. C’est une indication thérapeutique. Il faut savoir interroger les patients sur leur comportement sexuel.
Rickettsioses
Une cause fréquente (6,5 % au retour d’Afrique) mais moins connue de fièvre sont les rickettsioses, éruptives ou non. Les fièvres « boutonneuses » ou éruptives sont causées par R.conorii (fièvre boutonneuse méditerranéenne), R.africæ, R.prowasecki, R.typhi. Le diagnostic repose sur la clinique et les sérologies (centre de référence des rickettsioses à Marseille) et la doxycycline est efficace en prise unique, sauf dans les formes graves où un traitement de sept jours est recommandé.
Les autres rickettsioses (classiquement non éruptives) sont la cosmopolite fièvre Q ( Coxiella burnetti), les bartonelloses ( B.henselæ, B.quintana responsable de la fièvre des tranchées) et les erlichioses, dont le premier cas humain a été diagnostiqué en 1986 et qui sont actuellement le premier groupe de maladies transmises par les tiques.
Conclusion
En conclusion il faut, devant une fièvre au retour des tropiques, toujours chercher l’urgence clinique ou paraclinique et évoquer le paludisme à Plasmodium falciparum. Vingt pour cent des fièvres du retour sont «tropicales», 80 % sont métropolitaines/cosmopolites, qu’elles soient infectieuses (bactériennes, virales), inflammatoires ou néoplasiques, et 30 % restent inexpliquées... Les arboviroses et les rickettsioses sont des agents émergents auxquels il faut penser.
La prévention repose sur les conseils aux voyageurs, en particulier pour éviter les piqûres d’insectes, classiquement celles des moustiques, mais aussi celles des phlébotomes, puces, poux, tiques...
(1) QBC :technique de concentration, facile à utiliser, dite Quantitative Buffy Coat.
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