Hyperferritinémies non hémochromatosiques

Comment mener l’enquête étiologique

Publié le 05/11/2008
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ON PARLE d’hyperferritinémie devant un taux sérique de ferritine supérieur à 345 chez l’homme, à 76 chez la femme en période d’activité génitale et à 166 chez la femme ménopausée (ng/ml ou μg/l, technique de chimiluminescence).
Les principales causes sont :
– L’hyperferritinémie inflammatoire qui peut atteindre 1 000 μg/l dans les inflammations aiguës ou chroniques communes et 10 000 μg/l dans la maladie de Still ou les syndromes d’activation macrophagique. Hyposidérémie, diminution de la saturation de la transferrine et augmentation de la C Reactive Protein (CRP) permettent le diagnostic.
– Les lyses cellulaires. Toute cytolyse, notamment hépatique et musculaire, s’accompagne d’une hyperferritinémie proportionnelle à son importance. Un dosage des taux sériques des ASAT (muscle et foie) et des ALAT (foie), ainsi qu’une numération sanguine orientent le diagnostic.
– La consommation excessive d’alcool. Elle est susceptible d’augmenter la ferritinémie par divers mécanismes. La consommation d’alcool doit donc être soigneusement évaluée. Lorsqu’elle est excessive, il faut effectuer un test de sevrage : la ferritinémie diminue significativement, voire se normalise, dans les 15 jours qui suivent l’arrêt de l’alcool.
– Le syndrome métabolique. Une hyperferritinémie – en règle générale modérée, c’est-à-dire inférieure à 500 μg/l – est fréquente au cours du syndrome métabolique. Son taux est proportionnel au degré d’insulinorésistance. Dans son mécanisme interviendraient : le discret syndrome inflammatoire qui accompagne le syndrome métabolique, les lésions de stéato-hépatite qui y sont associées dans la moitié des cas et une authentique surcharge en fer de faible intensité décrite sous le terme d’hépatosidérose dysmétabolique (HSD) qui est repérée dans 15 % des cas. Cette dernière est toujours modérée. L’interprétation d’une hyperferritinémie nécessite donc une bonne connaissance du terrain métabolique (index de masse corporelle, tour de taille, pression artérielle, bilans lipidique et glucidique…). En l’absence de ces quatre causes principales, l’enquête doit se poursuivre, articulée autour de la détermination du coefficient de saturation de la transferrine (SAT). En cas d’augmentation de la saturation, il faut vérifier le résultat dans la mesure où tout un arbre décisionnel générateur de coûts potentiellement importants en découle.

La SAT : élément d’orientation

• Si la SAT est augmentée (> 45 %) et confirmée comme telle : – en présence d’une maladie hépatique évoluée ; il s’agit vraisemblablement d’une surcharge en fer secondaire à l’état de cirrhose ; – en l’absence de maladie hépatique évoluée et après avoir discuté une possible dysmyélopoïèse compensée (sujet âgé, macrocytose, tendance anémique), le diagnostic d’hémochromatose génétique est recevable et un génotypage HFE justifié. Seule l’homozygotie C282Y signe sûrement le diagnostic d’hémochromatose HFE. Une hétérozygotie composite C282Y–H63D peut rendre compte d’une discrète surcharge biologique sans traduction clinique.
Tout autre génotype HFE ne saurait expliquer la surcharge, ce qui implique de poursuivre l’enquête par la recherche d’une hémochromatose non HFE. • Si la SAT est normale, voire abaissée : le diagnostic d’hémochromatose génétique n’est pas recevable (sauf si coexiste un syndrome inflammatoire). Il n’y a pas lieu de demander un génotypage HFE.
Dans ces conditions, la question est posée de savoir si l’hyperferritinémie témoigne ou non d’une surcharge en fer. Pour y répondre, il est conseillé d’évaluer la charge hépatique en fer par IRM.
– S’il existe une surcharge hépatique en fer, il s’agit, le plus souvent, d’une hépatosidérose dysmétabolique (cf. ci-dessus) et, exceptionnellement, d’une surcharge génétique par mutation du gène de la ferroportine (type A) ou de la céruloplasmine. Transmise selon un mode dominant, la maladie de la ferroportine est caractérisée par une hyperferritinémie à saturation de la transferrine soit normale, soit peu augmentée. Elle réalise une surcharge mésenchymateuse avec, en IRM, un hyposignal du foie et de la rate. Elle donne lieu à peu de manifestations cliniques et, notamment, n’induit pas de cirrhose du foie. L’acéruloplasminémie, quant à elle, est responsable d’une surcharge en fer qui s’exprime, à l’âge adulte, par un diabète, des troubles neurologiques et une tendance anémique. L’atteinte hépatique est en retrait. Le diagnostic d’acéruloplasminémie est aisé par la mise en évidence d’un taux sérique effondré de céruloplasmine.
– S’il n’existe pas de surcharge en fer, il faut évoquer des causes exceptionnelles d’hyperferritinémie, soit acquises (maladie de Gaucher, dysthyroïdie, cancer…), soit génétique par mutation du gène de la L-ferritine avec, dans ce cadre, association fréquente à une cataracte familiale de transmission dominante. Le diagnostic étiologique d’une hyperferritinémie passe par un bon interrogatoire visant à préciser la consommation d’alcool et à identifier une éventuelle cataracte chez le patient ou dans sa famille, un examen clinique complet incluant les paramètres biométriques et la prescription de quelques examens biologiques usuels (NFS, ASAT, ALAT, CRP, saturation de la transferrine…).
Dans la plupart des cas, ces éléments, éventuellement complétés d’un examen ophtalmologique, et d’une IRM, sont suffisants pour expliquer l’hyperferritinémie, laquelle, en pratique courante, relève rarement d’une hémochromatose HFE et exceptionnellement d’une autre anomalie génétique du métabolisme du fer.

* Clinique des maladies du foie,
centre de dépistage familial de
l’hémochromatose et centre de référence
des surcharges génétiques en fer rares,
CHU Pontchaillou, Rennes.

PAR LE Pr YVES DEUGNIER*

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8455