L'idée, avancée par des députés de l'UMP, d'adopter une loi qui instaure un service minimum à la SNCF, ne semble réactionnaire qu'aux syndicats. Elle se fonde, en réalité, sur un principe établi : la liberté d'un individu ou d'un groupe s'arrête quand elle porte un préjudice à la liberté des autres.
Est-elle pour autant applicable en France ? On peut, à longueur d'année, reprocher aux syndicats de protéger par tous les moyens, y compris le chantage, ce qu'ils appellent leurs « droits acquis », lesquels correspondent en réalité à des habitudes sociales qui résistent aux changements auxquels toute notre société est confrontée. Jean-Pierre Raffarin est payé pour savoir le prix d'une réforme : si le pouvoir politique est discrédité par l'action, fût-elle juste, qu'il conduit pour adapter la société à l'évolution des murs, de l'économie et des relations sociales, la réforme risque de disparaître en même temps que ceux qui la mènent.
La démarche de Gilles de Robien
C'est pourquoi on est séduit par la démarche du ministre des Transports, Gilles de Robien. Cet homme de l'UDF, qui a réussi jusqu'à présent à participer au gouvernement sans désavouer François Bayrou, est aussi celui qui, bien avant les réformes Aubry, avait inventé un système permettant aux entreprises de modifier leurs horaires de travail en fonction des ressources humaines dont elles disposent. C'est grâce à la loi de Robien que les VVT (villages de vacances populaires) dirigés par Edmond Maire, l'ancien secrétaire général de la CFDT, ont réduit la durée de la semaine de travail. Cette loi avait l'avantage que Martine Aubry a supprimé : elle n'était pas coercitive et pouvait n'être appliquée que par les entreprises qui y trouvaient leur compte.
Gilles de Robien n'est donc pas un néophyte en matière de relations sociales. Et que dit-il aujourd'hui ? Qu'il préfère ne pas passer en force, qu'une loi sur le service minimum n'est pas nécessaire, qu'on peut limiter le nombre de grèves coûteuses et paralysantes par d'autres moyens.
Certes, on pourrait dire qu'une fois encore le gouvernement est terrorisé par sa propre audace, que l'aile droite de l'UMP pousse le gouvernement à la faute par son maximalisme, ou encore qu'il est impossible que la société française se modernise.
Mais un minimum de réalisme contraint les plus impartiaux des observateurs à reconnaître que des réformes à peine ébauchées ont fait plonger la cote de popularité du gouvernement. Et que la société française a des traits spécifiques qu'on ne peut pas ignorer : au moment des grandes grèves dans les transports publics, on voit certes des gens très mécontents qui traitent les grévistes de tous les noms ; mais on en voit autant, sinon plus, qui affirment qu'ils « comprennent » les grévistes. Ce n'est pas du masochisme, c'est que le rythme de la vie contemporaine crée de multiples frustrations et que la révolte séduit forcément les frustrés.
A n'en pas douter, l'autorité se perd et les institutions, gouvernement compris, en font les frais. Mais le désir de restaurer l'autorité de l'Etat ne doit pas aveugler nos dirigeants. La politique, c'est d'abord le pragmatisme. Alors, que faire pour obtenir un résultat sans créer le chaos ?
L'« alerte sociale »
C'est à la direction de la SNCF que court l'idée d'« alerte sociale ». Il s'agirait, pour les syndicats, de donner un préavis de grève tôt pour faire en sorte que s'ouvre une concertation entre les syndicats et la direction, et que la grève soit annulée.
On nous dira que cela ne changera rien : dès lors que les revendications de salaires ou de temps de travail mettent en danger l'équilibre des comptes de l'entreprise, la concertation sera stérile et la grève aura lieu quand même ; elle durera d'autant plus que tout aura été dit avant et que, en définitive, la solution viendra soit de la fatigue des grévistes et de l'affaiblissement de leur pouvoir d'achat, soit d'une colère populaire qui obligera l'entreprise à céder sur l'essentiel.
Bien entendu, la notion de service minimum ne traduit nullement, comme l'affirment les syndicats avec leur outrance coutumière, la suppression du droit de grève inscrit dans la Constitution. Le service minimum aurait pour effet de rendre la grève indolore pour l'économie. Et les syndicats doivent admettre qu'ils ont déclenché, dans les transports publics, des grèves dures et longues qui, parfois, n'avaient aucun rapport avec le conflit social auquel ils voulaient s'identifier.
La part des choses
Mais ce n'est pas une raison pour traiter cette catégorie de Français comme une sorte d'ennemi intérieur. Beaucoup de politiciens de gauche et d'extrême gauche souhaitent le retour à la lutte des classes en dépit de ce que l'histoire leur a enseigné. Il demeure que le patronat n'est pas non plus d'une grande générosité et qu'en période de crise il prend des mesures qui négligent l'aspect humain du conflit. Ce n'est pas le cas dans les entreprises publiques, mais c'est vrai que leurs salariés font entendre un son de cloche qui protège indirectement les employés du privé.
Bref, si on veut faire la part des choses, si on veut réconcilier les Français, si on souhaite sincèrement la paix sociale, il faut pratiquer davantage la concertation. Et le pire n'est pas sûr : l'alerte sociale peut apparaître, avec l'expérience, comme un moyen de désamorcer un conflit sérieux et désastreux. Les syndicats ont beaucoup reproché au gouvernement, ces derniers temps, de ne pas les écouter et de leur faire avaler ses réformes comme on gave une oie. Vrai ou faux, en tout cas, ils les ont en travers de la gorge. Le Premier ministre serait donc avisé de laisser son ministre des Transports, qui a fait ses preuves, conduire les discussions sur le service minimum. Le bâton n'est pas la panacée. Surtout en France.
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